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BD – Tenu par Hippocrate (Interview)


Patrice Perna et Fabien Bedouel se penchent sur le destin hors du commun de Felix Kersten, qui a soigné aussi bien la famille royale des Pays-Bas que Himmler.

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(Illustrations : DR)

Personnage discret et injustement oublié de la Seconde Guerre mondiale, Felix Kersten est celui qui sera à l’origine du « contrat pour l’humanité », sauvant la vie de 60 000 juifs emprisonnés dans les camps de la mort, grâce à sa proximité avec le Reichsführer, Heinrich Himmler. Entre fiction et réalité, Patrice Perna raconte ce parcours incroyable.

> La dernière fois que nous nous sommes parlé, c’était pour présenter le Joe Bar Team 7. Là, avec Kersten, Medecin d’Himmler, on est bien loin du gag et de l’humour potache.

Patrice Perna : C’est vrai, mais ce n’est pas si différent, dans le fond. Je suis scénariste. J’écris des histoires, c’est tout. Des fois, ce sont des histoires humoristiques, d’autres fois, des histoires plus sérieuses. En l’occurrence, là, j’avais envie d’aborder une autre thématique et faire un exercice différent, c’est-à-dire une histoire entière et pas des gags.

> Cela dit, on est là dans un monde diamétralement différent des Calagan, Tuning Maniacs, Paddock…

Oui, c’est vrai. Faire du gag en BD, c’est un exercice vraiment difficile et épuisant. Au bout d’un moment, quand on aime raconter des histoires, on a envie de passer à quelque chose de plus large. Faire un polar historique, pour moi, c’était aussi une vieille envie. Mais il m’a fallu du temps pour convaincre un éditeur.

> C’est un peu le syndrome Tchao Pantin de l’auteur de BD ?

Je ne sais pas trop. En tout cas, ce n’est pas comme ça que je l’envisage. Je ne me dis pas : « J’ai fait enfin quelque chose de sérieux, une vraie œuvre, alors qu’avant je faisais un peu n’importe quoi ! » C’est juste que, à un moment – peut-être une question d’âge – on a envie de s’exprimer de manière différente.

> Pourquoi avoir eu envie de raconter la vie incroyable et méconnue de Felix Kersten ?

Parce que, en la redécouvrant moi-même, j’ai été marqué par l’ampleur de cette histoire. D’autant plus que c’est quand même incroyable, mais quand on en parle, très peu de monde connaît cette histoire.

> Justement, comment expliquer qu’elle ait été oubliée ?

Je suis justement parti de ce questionnement-là pour mon récit. Comment a-t-on pu oublier un tel homme ? Dans le premier tome, on présente Kersten et son histoire, dans le second, on va répondre à cette question.

> À la fin de ce premier tome, vous laissez le champ ouvert à toutes les interprétations. On se demande ce qui va se passer. On se demande si Kersten était finalement un héros ou un salaud. C’est pour obliger le lecteur à prendre position par lui-même ?

Exactement. Je ne voulais pas faire une biographie de Kersten ; je ne suis pas historien et ça a déjà été bien fait pas d’autres. Mais je n’aime pas les histoires où j’ai l’impression d’être pris en otage et où on m’emmène d’un point A à un point B en me prenant la main. J’aime avoir une forme de liberté quand on me raconte une histoire. Et avec Kersten, on doit se poser des questions sur le fait qu’il avait la possibilité d’influer le cours de l’histoire. Il a quand même soigné Himmler ! Peut-être que, sans lui, Himmler serait mort plus tôt. Il y a donc une grande ambiguïté autour de ce personnage, même s’il est resté droit et a toujours agi comme un juste. Il a quand même côtoyé le mal de très près. Je voulais faire ressortir ça, d’où le côté thriller.

> Oui, dès le titre de ce premier tome, Pacte avec le mal.

Oui, quelque part, il a signé ce pacte et a accepté de soulager et de partager beaucoup de choses avec ce type abominable qu’était Himmler.

> Comment expliquer la relation intime qui s’est créée entre Kersten et Himmler, car selon ce que vous montrez, ce dernier, ne lui a jamais caché son opposition aux choix des nazis.

C’est toute la puissance de l’humanité de cet homme. D’un seul coup, Kersten se rend compte qu’il a un pouvoir, comme c’est souvent le cas des médecins sur leurs patients, sur Himmler. Il a donc tissé avec lui une relation sur quasiment cinq années et, très vite, il a pris un ascendant psychologique sur l’un des plus hauts dignitaires nazis. Et ça paraît complétement fou, mais il a réussi à influencer les choix de cet homme.

> L’histoire est prévue comme un diptyque. À quand le tome 2 et que pouvez-vous nous en dévoiler ?

Le tome 2 est prévu pour septembre, on est en plein dedans. Et sans trop déflorer l’histoire, je peux vous dire que quand on parle de Kersten, on tombe souvent sur le nom de Folke Bernadotte, vice-président de la Croix-Rouge suédoise et qui a travaillé avec Kersten, notamment à l’évacuation d’un certain nombre de prisonnier, entre autres dans l’opération des « Bus blancs » qui a permis l’évacuation de certains camps de prisonniers, avec l’accord d’Himmler.

Sauf que, manifestement, à la fin de la guerre, la Suède ayant besoin d’un héros national, Bernadotte semble s’être attribué beaucoup de mérites de Kersten. Et que, après, des gens plus ou moins bien intentionnés ont fait en sorte qu’on oublie ce petit docteur au profit de ce comte beaucoup plus représentatif du pays. Comme quoi l’histoire, ça tient parfois à peu de chose.

Entretien avec notre journaliste Pablo Chimienti