Comme dans un conte des frères Grimm, deux jumeaux s’échappent de la misère qui leur est promise et réinventent leur destin en musique au cœur du siècle des Lumières. Époustouflant dans le fond et dans la forme.
Il est rare, car complexe, de matérialiser la musique. De lui donner du souffle et du corps sur le papier. De dépeindre les joies et les douleurs de l’acte créatif, et ce, jusqu’à leur libération purificatrice sur scène. En ce sens, Jean-Christophe Deveney et Édouard Cour signent ici une œuvre qui fait date. L’idée de départ, confie le scénariste, est pourtant assez simple : «À quel point l’art peut élever, nous faire changer? Et est-ce vraiment le cas ?»
En partant de ce questionnement, il déroule une épopée sur le dépassement et l’accomplissement de soi, un peu comme dans une fable d’apprentissage des frères Grimm. Cette référence aux conteurs tient à une double évidence : l’enracinement du récit dans une campagne miséreuse d’Allemagne et les prénoms des protagonistes, Hans et Helma, proches de Hansel et Gretel.
Deux jumeaux qui, nés sous le «ciel bas» du Saint-Empire romain germanique, ont un avenir «tracé dans les sillons», lit-on : celui d’une vie «âpre et austère», rythmée par le travail de la terre et les prières adressées au ciel. Mais ils ont un don : une oreille aiguisée et un chant harmonieux, capable d’imiter celui des oiseaux. Le cadeau d’un flûtiau par un oncle finit par les convaincre : la musique fera partie intégrante de leur vie.
Celle-ci s’accélère durement quand leur famille est massacrée par des bandits. Livrés à eux-même, ils commencent leur périple dans une forêt sombre en compagnie d’un ermite qui leur fait découvrir la richesse des sons de la nature, puis dans un pensionnat religieux où ils apprennent les bases du solfège et enfin auprès d’un chef militaire mélomane, qui leur permet d’accéder aux plus belles partitions de leur époque. Parmi elles, il en est une signée d’une mystérieuse locution : «Soli Deo Gloria» («À Dieu seul la gloire» en latin).
Mais ça ne s’arrête pas là : le prince Silvio et sa «cour flottante» tombent sous le charme de deux talentueux adolescents. Hans, devenu compositeur, et Helma, soprano, poursuivent leur formation auprès d’un maestro, un certain Aldiviva (toute ressemblance avec Vivaldi n’est en aucun cas fortuite).
Que seraient les hommes sans musique?
Les palais de plusieurs villes européennes (Amsterdam, Venise, Rome, Naples, Leipzig) seront les témoins silencieux de leur réussite, de leur échec et de leurs déceptions, dans lesquels ils seront confrontés à toute une galerie de figures romanesques : luthiers, compositeurs, castrats, imprésarios, et ce, jusqu’au pape lui-même !
Toujours dans des jeux patronymiques et toponymiques, leur destin va se mêler à celui de Stradivarius ou de Jean-Sébastien Bach au cœur d’un siècle des Lumières finalement pas si flamboyant, parsemé de guerres, de pillages, d’épidémies et d’obscurantisme religieux.
«Que seraient les hommes sans la musique ?», questionne à juste titre un des personnages de l’histoire. On lui répondrait que, parfois, oui, elle permet de surmonter la violence et l’injustice du monde. Mais, surtout, elle donne l’occasion d’accoucher d’un superbe ouvrage, sorti il y a seulement quelques semaines, déjà réimprimé plusieurs fois et en lice pour le Grand Prix de la Critique ACBD (dont le lauréat est annoncé aujourd’hui).
Soli Deo Gloria le mérite, époustouflant de bout en bout. Saluons d’abord Jean-Christophe Deveney (auteur il y a un an des Météores avec Tommy Redolfi) pour ce récit épique qui se lit d’une traite (malgré 275 pages fournies), véritable ode au baroque, entre obscurité et lumière.
Comme arrimée à cette dualité, l’atmosphère mise en place par le dessinateur Édouard Cour est à couper le souffle, malgré son apparente austérité : un trait inspiré du manga, des gravures (notamment celles de Rembrandt et de Goya) et de vieilles lithographies, d’un noir et blanc profond d’où jaillit la couleur, comme une décharge électrique, à chaque note, à chaque mélodie.
Dans la marge, même, un bout de partition, discret, qui se déroule du début à la fin. «L’art, comme la foi, peut être une forme de transcendance, une manière de s’élever», précise le scénariste, qui répond ainsi à son interrogation initiale. Sa démonstration est, en tout cas, le plus convaincant des exemples.
L’histoire
Nés sous le ciel crasseux du Saint-Empire romain germanique, Hans et Helma étaient destinés à une vie de labeur et de pauvreté. Leur don et leur amour pour la musique s’offriront à eux comme un espoir, une lueur dans leur quotidien sombre et terreux. Grâce à elle, ils découvriront la beauté et la cruauté du monde…