Science-fiction, thriller écologique et histoire d’amour : Semences est tout cela à la fois. Un roman graphique d’utilité publique, porté par le dessin cauchemardesque de David Aja et le récit militant et philosophique d’Ann Nocenti.
Oubliez tout ce que vous croyez savoir des extraterrestres. Figures de proue du genre de la science-fiction, les petits hommes verts, en littérature comme au cinéma, sont habituellement présentés comme une menace pour l’humanité et la planète Terre. Les engagements féministes et environnementaux portés par la journaliste et scénariste Ann Nocenti, qui ont fait leur chemin depuis les années 1980 chez Marvel (Daredevil, X-Men, Spider-Man…), trouvent une nouvelle fois leur place dans Semences, «one shot» dessiné par l’Espagnol David Aja. «Toutes les histoires ont deux faces», dit l’héroïne, Astra. L’une serait de faire de la présence des aliens une source d’information sensationnelle, dans une course au buzz où la forme prime systématiquement sur le fond; l’autre s’intéresserait, elle, aux raisons d’une présence extraterrestre sur Terre, quitte à payer le prix d’une triste réalité. Quelle version est la plus alarmante?
Semences est bien un roman graphique appartenant au genre de la science-fiction, mais les auteurs en dévoilent toute la teneur dès les premières cases, lorsque l’on arrive à la découverte d’une ville américaine représentée par un dessin âpre, où seules trois couleurs existent : le noir, le blanc et un kaki terne. C’est l’ambiance donnée à notre planète ici agonisante, abusée par la pollution, les anomalies climatiques et les technologies. La grande ville sans nom, elle, est divisée en deux par un mur; de l’autre côté se trouve «la Zone», une société alternative qui a choisi de fuir le progrès meurtrier pour vivre sauvagement dans les derniers espaces de nature. Choisir d’aller dans la Zone, c’est choisir de ne plus en revenir : les drones et les avions ne survolent pas l’espace, pas plus que ne sont autorisés les téléphones portables et toute autre forme de technologie. On passe surtout la frontière par conviction, on la franchit aussi par amour : c’est le cas de Lola, jeune fille en fauteuil roulant, tombée amoureuse de Race, un extraterrestre qui, comme ses semblables, est obligé de dissimuler son apparence sous une combinaison et un masque à gaz.
Astra, journaliste un brin idéaliste dans un monde où les «fake news» ont le droit d’écraser la réalité, pourvu qu’elles fassent mieux vendre, découvre la romance entre l’humaine et l’alien alors qu’elle enquête pour les besoins d’un reportage. Se pose ainsi une question éthique : faut-il sacrifier un amour véritable en faveur d’un scoop largement romancé? Si l’intégrité de l’héroïne est un combat qu’elle mène tous les jours, c’est aussi un piège. Ce qu’elle comprendra lorsqu’elle découvrira la raison d’une présence extraterrestre. Il ne s’agit plus, comme dans les immuables récits hollywoodiens, de préparer une invasion et d’éliminer la race humaine, mais de sauvegarder ce qu’il est encore possible de sauver – des «graines» qui seront replantées et ressuscitées ailleurs –, avant de réitérer l’opération sur d’autres planètes, dans d’autres galaxies.
Les noms d’Ann Nocenti et de David Aja restent liés aux comics – ensemble, ils ont collaboré sur des histoires de Daredevil –, mais Semences n’a rien d’un «side project» exceptionnel. C’est d’abord un projet de passion, pratiquement d’utilité publique, qui synthétise des questions militantes et philosophiques que l’auteure met souvent au cœur de ses récits, aujourd’hui affranchies du besoin de continuité narrative de ses œuvres grand public. C’est un nouveau monde que Nocenti et Aja construisent, un monde qui nous sépare tristement si peu du nôtre (dans le temps et dans les faits relatés), à la mise en images captivante et cauchemardesque, où le motif hexagonal – celui des alvéoles d’abeilles, merveille de géométrie que l’on retrouve, au fil des pages, sur la carapace d’une tortue, ou tatouée sur le bras de Lola – sert de lien pour tisser les différentes trajectoires des personnages.
Semences,
d’Ann Nocenti et David Aja.
Futuropolis.
On a tué la planète. Mais était-ce un meurtre ou un suicide?
L’histoire
La Zone est un refuge, à l’abri des drones et de toute technologie, où les gens ont adopté un autre mode de vie, plus sauvage et plus libre. Astra est une journaliste qui se bat pour sa passion et son intégrité professionnelle dans un univers où les «fake news» deviennent la norme. Lorsqu’elle se rend dans la Zone, elle découvre la liaison interdite entre la téméraire et empathique Lola et Race, un extraterrestre doué de sensibilité. Alors que les extraterrestres s’apprêtent à partir, le compte à rebours est lancé pour Astra, qui doit prendre une décision susceptible de changer la face du monde…