Petit dernier d’un couple de longue date, Pulp (Delcourt) est l’œuvre à laquelle le scénariste Ed Brubaker et le dessinateur Sean Phillips devaient aboutir. Un récit riche et âpre où la violence du Far West répond à celle de la grande ville.
Ed Brubaker et Sean Phillips. Deux noms qui font référence dans le milieu des comics américains. Le premier, l’Américain, a été l’un des scénaristes phares de DC Comics dans les années 2000, notamment avec les superhéros Batman et Catwoman, avant d’aller offrir sa plume à Marvel; le second, le Britannique, s’est fait connaître dans les pages du magazine culte 2000 AD, avant d’exporter son art aux États-Unis. Les deux collaborent pour la première fois en 1999 avec Scene of the Crime, un bon vieux polar bloqué dans le San Francisco du «Summer of love» et qui fonce irrémédiablement vers un nihilisme à glacer le sang.
Depuis, Brubaker et Phillips forment l’un des duos les plus admirables de la bande dessinée américaine contemporaine, avec, donc, un genre de prédilection : le «hardboiled» (comprendre : «dur à cuire», comme les personnages sans peur, mais avec reproches, du genre «noir»), nourri aux connaissances littéraires (Michey Spillane, Jim Thompson, James Ellroy…) et cinématographiques (Howard Hawks, Don Siegel, Sidney Lumet…). Leur association a déjà produit quelques petits chefs-d’œuvre. Dans Criminal (depuis 2006), ils construisent une œuvre majeure qui repense les clichés du genre; dans Fondu au noir (2014-2016), ils reviennent à la source du problème, les années de la «chasse aux sorcières» à Hollywood, dans l’immédiat après-guerre; Fatale (2012-2014), avec son héroïne inspirée par Ava Gardner, mélange le surnaturel du monde des superhéros et celui de Lovecraft à l’intérieur d’un polar classique.
Vingt ans après leur première entreprise commune, Brubaker et Phillips reviennent avec un «one shot» d’exception, classique et classieux. Court de 72 pages, Pulp se pose avant tout comme une déclaration d’amour à cette littérature de genre et de gare, doucement racoleuse par sa trame peu complexe et sa violence. C’est, d’une certaine manière, l’œuvre à laquelle le duo devait aboutir. Leur héros, Max Winter, en est la clef : ancien hors-la-loi du temps des cow-boys, il vieillit dans la grande ville, loin des fermes de l’Ouest sauvage, et vivote grâce à l’écriture de récits «pulp» inspirés de ses propres exploits. Mais en 1939, les nazis ne sont pas qu’une terreur lointaine : à New York aussi, Hitler a ses soutiens, et ceux-ci tiennent à le faire savoir. Une raison suffisante pour que Max renoue avec le bandit qu’il a, au fond de lui, toujours été.
Ici, c’est New York… On braque les gens la nuit
Mais alors qu’il bascule irrémédiablement vers la huitième décennie de sa vie, Max n’a plus la forme physique de Red River Kid, son alter ego littéraire. Affaibli par des crises cardiaques à répétition, le vieil homme pense : «À présent, la peur me tenaillait, et ça me surprenait. Parce que, longtemps, j’avais cru que la mort serait un bien.» Et de digresser, au fil du récit, sur les deux fois où il a «failli» mourir; la troisième, elle, est au cœur de la trame. Qu’est-ce qui peut pousser un homme fatigué, et ayant déjà largement entamé la seconde moitié de sa vie, au crime ? L’argent, d’abord, qui lui manque cruellement. Le sens de la justice, ensuite, comme motivation contre cette ferveur nazie qu’il exècre. Enfin, une amitié nouvelle et inattendue, qui fera basculer la vie et les choix de Max.
Cette dernière, il la trouve en la personne de Jeremiah Goldman, ancien agent de la Pinkerton qui, quarante ans plus tôt, traquait sans relâche Max et sa bande. Pulp prend alors une profondeur superbe, dans cette alliance inédite qui voit le bon et la brute devenir ensemble deux truands. Laisser derrière les différends historiques et s’associer contre un mal plus gros, plus urgent, plus dangereux : on sent évidemment peser sur la fiction l’ombre de notre réalité. Avec des niveaux de lecture multiples élaborés par les auteurs, on peut noter que cette rivalité transformée en amitié – et ses conséquences, dont une vengeance finale absolument explosive – est le pinacle de l’œuvre.
Si Pulp s’impose immédiatement comme une œuvre majeure de Brubaker et Phillips, c’est avant tout pour sa richesse, scénaristique et graphique. Brubaker met en lumière le cousinage entre le western et le polar, tout en honorant avec déférence les codes de l’un et de l’autre genre, pour mieux réfléchir au rôle de la violence; Phillips opère un travail minutieux et détaillé dans le dessin, avec des séquences de western fabuleuses et ouvertes aux grands espaces, et un retour au présent plus âpre, toujours tendu. Ils tiennent à leur zone de confort. Pas parce qu’elle leur offre la sécurité, mais parce que, à la manière des grands auteurs, Brubaker et Phillips sont en quête de la perfection. Avec Pulp, ils n’en ont jamais été aussi près.
Valentin Maniglia
L’histoire
Max Winters, un écrivain de «pulps» dans les années 1930 à New York, est entraîné dans une histoire qui rappelle celles qu’il écrit pour cinq cents le mot, des histoires mettant en scène un hors-la-loi du Far West qui rend justice à coups de revolver. Max sera-t-il aussi efficace que ses héros face à des braqueurs de banque, des espions nazis et des ennemis issus de son passé ?