Préparez-vous, les Gaulois déboulent en trombe! Difficile, en effet, d’échapper au raz-de-marée provoqué par la sortie d’une nouvelle aventure d’Astérix. La 37e de la série invite à une balade en Italie. Découverte.
Le troisième épisode réalisé par les nouveaux auteurs de la série, Ferri et Conrad, parle, à travers une course de chars, de l’unité entre les peuples.
Comme à son habitude, la maison d’édition Albert-René (une filiale du groupe Hachette Livre) s’est montrée assez avare de détails concernant ce nouvel album signé (comme les deux précédents) par le tandem Jean-Yves Ferri (scénario) et Didier Conrad (dessin). La couverture, une des rares informations divulguées par l’éditeur, montre Astérix et Obélix engagés dans une course de chars à quatre chevaux menée tambour battant sur une voie romaine. Ce n’est pas Astérix, mais Obélix qui tient les rênes du quadrige.
Derrière eux, un mystérieux et un peu inquiétant aurige (pilote de char), masqué comme un tragédien du théâtre antique et tout de rouge vêtu, tente de les dépasser. Coronavirus, le nom de ce «méchant», est présenté comme le «champion romain aux 1 462 victoires». Il est toutefois probable que le duo gaulois ne lui donnera pas le loisir d’engranger une nouvelle victoire…
Albert Uderzo, âgé aujourd’hui de 90 ans, créateur avec René Goscinny du personnage d’Astérix, est un amateur de courses automobiles et notamment de la «Scuderia Ferrari». Plus de vingt bolides ont transité par son garage dont des «bêtes de course», comme la 365 P2. Astérix et la Transitalique peut évidemment se lire comme un hommage à Uderzo et à sa passion toujours intacte.
«L’histoire me touche beaucoup puisqu’en dehors de la BD, j’ai eu un autre amour, l’automobile», a reconnu Uderzo. Les lecteurs les plus bédéphiles penseront évidemment aussi à Michel Vaillant, le plus célèbre pilote automobile de la BD. D’ailleurs, l’idée d’un pilote masqué (comme l’aurige Coranavirus) est d’abord apparue dans Le Pilote sans visage, l’un des plus célèbres albums de la série créée par Jean Graton.
Goths, Perses et Sarmates
Pour le reste, les auteurs ont promis de mettre dans leur album tous les ingrédients qui font depuis bientôt 60 ans le succès d’Astérix. Des bagarres, des coups fourrés et une extraordinaire galerie de personnages issus de tout l’empire romain et au-delà (Bretons aussi flegmatiques qu’intrépides, Grecs, Goths, Sarmates, Perses…) ainsi que des peuples d’Italie non romains (Vénètes, Ombriens, Étrusques…). C’est que la course, approuvée par Jules César, vise à affirmer le prestige de Rome et l’unité des peuples de «la péninsule italique».
Le départ de la course a évidemment lieu à Modicia, connue aujourd’hui sous le nom de Monza. La sortie d’un nouvel Astérix est toujours un phénomène dans le monde de l’édition. Aucun autre livre ne bénéficie d’un tirage aussi important dans le monde francophone. L’album, traduit en 16 langues, va ainsi bénéficier d’un tirage total de 5 millions d’exemplaires, dont 2 millions en français et 1,7 million en allemand. Depuis sa création, Astérix est quasi aussi populaire en Allemagne qu’en France.
«Ça prouve qu’Astérix n’est pas aussi franchouillard que ça», explique Jean-Yves Ferri. «Un Astérix remonte le moral. C’est ça ou les antidépresseurs», ajoute Didier Conrad. Céleste Surugue, directeur général des éditions Albert-René et éditeur de cet album, estime qu’«Astérix touche à l’universel» d’où son succès sans équivalent pour une œuvre française à l’étranger.
«Astérix, c’est David contre Goliath et à la fin des années 1960, l’Allemagne, prise en étau entre deux impérialismes, se percevait peut-être comme le village d’Astérix», avance-t-il pour expliquer la passion des Allemands pour le petit guerrier gaulois. «Une partie du succès d’Astérix à l’étranger tient aussi à ce qu’on se moque beaucoup des voisins gaulois. C’est assez sympa pour les autres peuples européens de voir autre chose que l’arrogance « gauloise ».»
Depuis sa création, en 1959, 370 millions d’albums ont été vendus dans le monde. Les albums ont été traduits dans 111 langues. «Astérix est un monument!», résume enfin Isabelle Magnac, la patronne des éditions Albert-René.
Le Quotidien / AFP
Astérix et la Transitalique, de Ferri
& Conrad. Éditions Albert-René.
Au préalable, il est important de saluer les efforts – depuis maintenant trois ouvrages – des deux auteurs pour redonner à la célèbre série son lustre d’antan, alors que parallèlement elle continue de s’écouler à des millions d’exemplaires, que les albums soient de qualité ou non… Une attitude admirable à mettre sur le compte d’un héritage à défendre, Jean-Yves Ferri (scénario) comme Didier Conrad (dessin) ne prenant pas la chose à la légère, et ça se voit! Encore une fois, en effet, cet Astérix répond à ce que l’on attend de lui : de l’humour, bien sûr, mais également quelques sujets sérieux.
Pour cette Transitalique, on part avec un Obélix qui prend plus de «poids» dans l’histoire – «Pourquoi c’est toujours Astérix qui a le beau rôle?», s’insurge-t-il dans la hutte du chef Abraracourcix. Devant son insistance, il aura ainsi le droit de piloter le char gaulois, pour une toute nouvelle course entre Monza (forcément) et Naples, censée prouver la qualité des routes romaines. Un grand évènement auquel sont conviés tous les peuples étrangers (Normands, Bretons, princesses du royaume de Koush, Lusitaniens…) et locaux (Étrusques, Ombriens…). Bref, un hommage, comme il est de coutume avec cette franchise, aux identités heureuses et variées sous l’Empire romain.
Cet album est donc plus qu’un simple voyage en Italie – que les deux héros ont très peu foulée, étonnamment, jusqu’alors –, c’est un véritable road-trip, façon Fast and Furious, des Alpes au Vésuve, quoique la diversité des attelages et les sabotages réguliers (car oui, c’est le Romain masqué, Coronavirus, qui doit gagner la folle chevauchée) rappellent plutôt la série Les Fous du volant avec son duo ricanant Satanas et Diabolo.
Un parti pris qui débouche sur un album nerveux, à travers un rythme effréné recherché – et défendu – par les auteurs. Dans ce sens, les gags, à la pelle, se succèdent sans interruption, laissant l’intrigue (ou une quelconque quête) sur le bord de la route. Pourtant, les sujets, dits sérieux, ne sont pas en reste et, derrière la franche rigolade, cet album aborde la corruption (dans le sport et la politique) et la construction européenne.
Qu’importe, Astérix et la Transitalique ne trahit pas la philosophie de la série, à savoir faire tenir, sur un peu plus de quarante pages, les jeux de mots, les anachronismes, les stéréotypes sur les nationalités, les caricatures, les citations latines, les sangliers, les baffes (aux Romains), la potion magique… Au fil des pages apparaissent La Joconde, Berlusconi, Sophia Loren, Pavarotti, la tour de Pise, Venise (naissante), les pizzas et même le chianti. Clins d’œil à l’actualité («Nous sommes en alerta maxima», lâche un légionnaire) et calembours («Avé Bifidus, et sois actif») ponctuent, avec finesse, l’album, le 37e d’une série qui a encore, avouons-le, de beaux jours devant elle.
Grégory Cimatti