L’une, souvent en colère, ne grandit pas, tandis que l’autre, plus détendue, s’émancipe au fil des albums… Derrière les personnages de Mortelle Adèle et Lou se cachent surtout deux auteurs masculins, qui y mettent beaucoup d’eux-mêmes !
Elles sont deux personnages stars de la bande dessinée, attendues au tournant pour les fêtes de Noël : Mortelle Adèle, écolière à fort caractère, et Lou, jeune étudiante, sont les créations de… garçons ! Mortelle Adèle est née en 2012 de l’imagination de Mr Tan (Antoine Dole), et Lou en 2004 de celle de Julien Neel. Elles ont eu le même âge autrefois, une petite dizaine d’années.
Mais si Mortelle Adèle l’a toujours, Lou a grandi. Après huit aventures comme enfant et adolescente, elle a son propre appartement dans Lou ! Sonata (tome 1, Glénat), sorti le 2 décembre. Quand il a été question de créer un personnage, pour un Julien Neel âgé de 28 ans, le créneau des garçons était encombré, entre Spirou, Titeuf ou Cédric. Il a donc conçu une petite fille.
«Mais tout ce que je fais, c’est de transposer des aventures de ma vraie vie (…) Je ne fais aucun effort pour écrire les personnages féminins ! Je me dessine moi avec une poitrine», plaisante le dessinateur. Et «c’est paradoxalement une BD sur les études par quelqu’un qui n’en a pas fait.» Pourtant, le scénario restitue avec justesse ce rite de passage du tout début de la vie de jeune adulte, où l’on est parfois déboussolé, par les complications de la bureaucratie universitaire par exemple, parfois exalté, à se faire autant de nouveaux amis.
«Aujourd’hui, c’est difficile d’être un enfant dans un monde d’adultes»
«Tout le monde me dit : c’est très juste, c’est tout à fait dans l’époque. Non, c’est juste universel. Lou, je ne voudrais surtout pas que ce soit la BD de son époque. Je travaille vraiment pour que ce soit intemporel», insiste Julien Neel. Mortelle Adèle est quant à elle le fruit de l’expérience de son créateur, scénariste : un enfant moqué voire harcelé. «Elle est née en 1995 quand j’avais 14 ans, où j’étais un enfant victime de violences scolaires. C’était ma façon de répondre au monde, et à ce que ce monde me renvoyait : tu ne trouveras pas ta place, tu ne devrais pas être là, ce que me disaient les élèves qui s’en prenaient à moi», se souvient Antoine Dole.
Derrière ses taches de rousseur, son héroïne est indisciplinée, énervée contre le modèle trop lisse que les parents voudraient lui faire suivre. «Elle dit aux enfants qu’il faut à un moment donné bousculer les choses (…) Aujourd’hui, c’est difficile d’être un enfant dans un monde d’adultes, où on attend de lui des choses extrêmement précises», selon le scénariste.
Or «la société dans laquelle on évolue aujourd’hui a été construite sur des actes de désobéissance, par des gens qui ont à un moment donné remis en cause la norme. En tant qu’auteur jeunesse, on construit aussi des individus. On les aide à avoir des outils qui vont construire leur rapport au monde, leur citoyenneté.» C’est une jeune femme en revanche qui dessine le personnage, Diane Le Feyer depuis 2014, et donc dans Mortelle Adèle et la galaxie des Bizarres, sorti fin octobre (Bayard). «Je m’amuse énormément en dessinant Adèle. Je m’imagine en face d’une petite fille qui les désarme avec tant d’aplomb et de vivacité d’esprit. Moi ça me fait rire, un peu d’autodérision de parent.»
Grégory Cimatti