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[BD] Mais qui est vraiment Elon Musk ?


Ses origines, son histoire et son œuvre, mais aussi ses dérapages comme ses manigances… Darryl Cunningham livre une enquête minutieusement documentée sur un «nouveau maître du monde».

Pour certains, il est un génie, un visionnaire, un «self-made-man» talentueux et accompli. Pour d’autres, il est un homme dangereux, meilleur communicant qu’entrepreneur, et dont les récentes sorties publiques confirment sa proximité de plus en plus prononcée avec les idées de l’extrême droite américaine. Difficile, en tout cas, de rester insensible face la trajectoire d’une des stars de la «start-up nation», Elon Musk, grand manitou de la voiture électrique haut de gamme et des voyages spatiaux.

Afin d’amener à une meilleure compréhension du personnage, l’écrivain et auteur britannique Darryl Cunningham mène l’enquête et livre ses conclusions, lui qui s’était déjà attaqué il y a deux ans à un autre cas préoccupant, et ce, en pleine guerre en Ukraine : le «dictateur» Vladimir Poutine.

Le procédé reste identique : un travail de vulgarisation qui s’appuie sur des dessins faciles, voire secondaires (présentés sous la forme d’un gaufrier), servant une narration étayée (et chiffrée) qui ne laisse rien au hasard, comme le démontre une bibliographie abondante en fin d’ouvrage.

Une façon de rappeler que Darryl Cunningham est d’abord journaliste au New York Times, et que ses livres cartonnent au point qu’il donne aujourd’hui des conférences dans les écoles et universités, de Londres à Valence. Mais aussi, comme il le précise dans les remerciements, qu’un ouvrage de «non-fiction» ne s’écrit jamais «seul», surtout quand on s’attaque à l’une des personnalités les plus fascinantes et controversées de ces dernières années. Un travail de fond, riche et détaillé donc, que l’on pourrait aisément qualifier de «biographie non officielle».

Sans les contribuables américains, sa fortune serait anecdotique, et l’homme tout autant

Comme toute histoire, tout part des racines. Celles d’Elon Musk se trouvent dans une Afrique du Sud raciste, en plein apartheid. Il y a ce grand-père explorateur, médecin, aviateur (et antisémite); une mère mannequin et un père ingénieur, très riche et très violent. De leur relation «toxique» naîtront trois enfants, dont l’a$iné, accro aux jeux vidéo et aux livres, fan de motos et d’explosifs, amateur de parties de Donjons et Dragons et «geek» souffre-douleur à l’école.

En lui fleurit une ambition, qui ne le quittera jamais : «avoir un impact sur le monde». Dans sa ligne de mire : internet, l’espace et les énergies renouvelables. Avant de se lancer dans l’aventure Tesla et SpaceX, il y aura un night-club clandestin, un annuaire de sociétés en ligne (Zip2) et une banque (X.com), sans oublier des tracas personnels (une malaria qui va le laisser six mois sur le flanc) et une tragédie (le décès de son premier enfant à l’âge de dix semaines).

C’est tout l’intérêt du travail de Darryl Cunningham : mélanger l’intime au public, ce qui ne se dit pas à ce qui se montre : on apprend ainsi qu’Elon Musk a cinq enfants nés de la fécondation in vitro (FIV), qu’il comptait acheter Google, qu’il aime prendre de la kétamine (notamment pour soigner ses épisodes de dépression), qu’il a deux enfants cachés et qu’un de ceux reconnus lui a définitivement tourné le dos (en changeant de nom et de sexe).

Mais aussi qu’il s’est pris la honte avec son submersible inutilisable lors du sauvetage des enfants coincés dans une grotte en Thaïlande en 2018, qu’il a eu un accident de voiture avec Peter Thiel (cofondateur de Confinity, qui deviendra PayPal), qu’il a mis une Tesla sur orbite et qu’il est devenu l’homme le plus riche du monde en janvier 2021, titre qu’il partage désormais avec Bernard Arnault (sa fortune est estimée à 192,7 milliards de dollars).

Professionnellement, sa trajectoire est rythmée par une philosophie («faire de grandes déclarations ambitieuses, définir des échéances surréalistes et pousser ses employés à accomplir des miracles») et une valse d’ingénieurs, de PDG et de directeurs, au gré des fusions et des ventes. Dans le lot, certains noms sortent de l’ombre, sans qui celui d’Elon Musk n’existerait pas (comme Martin Eberhard, Marc Tarpenning et J B. Straubel, fondateurs de Tesla).

Pire, sa carrière est émaillée de nombreux échecs, d’effets d’annonce, de prédictions fantasques, de procès, de retards (sa marque de fabrique) et de fausses informations. L’enquête de Darryl Cunningham est formelle : Tesla et SpaceX n’en seraient pas là sans les généreuses dotations du Trésor public des États-Unis (subventions, allègements d’impôts…) et les financements de la NASA. En un mot, sans le soutien des contribuables américains, sa fortune serait anecdotique. Et l’homme tout autant.

Ni scientifique ni technicien mais homme d’affaires avisé, Elon Musk, à l’instar d’un Rupert Murdoch, crée des remous depuis son incursion dans le monde politique, portée par «son» réseau social, X (ex-Twitter). C’est en cela, pour Darryl Cunningham, qu’il faut s’en inquiéter : pour ses affinités avec les régimes autoritaires (Chine, Russie), sa complicité avec Donald Trump (alors qu’en 2015, il soutenait Hillary Clinton), sa proximité avec les mouvements conspirationnistes (comme en 2020 lorsqu’il refuse de fermer son usine Tesla, transgressant les lois du confinement), ses idées résolument ancrées à droite (notamment sur la communauté LGBT) et son idéologie dite du «long terminisme», qui pourrait se résumer ainsi : l’avenir de l’humanité est plus important que les épreuves d’aujourd’hui (comme la pauvreté, le changement climatique…). Remonté face à la puissance toujours plus importante des ultrariches, l’auteur conclut : «Personne ne devrait disposer d’un tel pouvoir discrétionnaire». Encore moins Elon Musk, qui se croit «plus intelligent» qu’il ne l’est en réalité.

Elon Musk – Enquête sur un nouveau maître du monde
de Darryl Cunningham. Delcourt.