L’histoire d’Isabel Barreto, première amirale de l’histoire de la navigation espagnole, est racontée par Jorge Zentner et Carlos Nine. L’Amirale des mers du Sud est sorti en 1992 en espagnol, mais vient de paraître en version française.
Isabel Barreto n’est pas Christophe Colomb, pas même Hernán Cortés ou Francisco Pizarro. Du coup, le grand public l’a oubliée depuis longtemps. Pourtant, si elle n’a pas découvert l’Amérique – «ou quel que soit le nom qu’on voudra donner à ce fait historique», peut-on lire dans la préface de L’Amirale des mers du Sud –, si elle n’a pas non plus «conquis» le Mexique ou le Pérou, la native de Pontevedra est considérée comme la première femme à avoir obtenu le grade d’amiral dans l’histoire de la navigation espagnole, à la fin du XVIe siècle. Rien que pour ça, son histoire mérite d’être racontée.
Un 16 juin 1595
Elle est encore enfant quand sa famille s’installe au Pérou. C’est là, une fois grande, qu’elle épouse Alvaro de Mendaña, découvreur des îles Salomon et des Marquises. Le voyage qui changera le cours de sa vie débute le 16 juin 1595. Quatre navires partent sous les ordres de son mari pour coloniser les Salomon. Mais les îles restent introuvables. La maladie, la faim, mais aussi des attaques contre les peuplades indigènes – même les plus pacifiques au départ – déciment les quelque 378 aventuriers.
Mendaña succombera lui aussi à la malaria. Voilà Isabel veuve, désormais toute de noir vêtue – et ça a son importance dans la manière dont les auteurs racontent ici son histoire – mais aussi amirale. Ce sera à elle de ramener les survivants de l’expédition vers un lieu «civilisé». Ce sera les Philippines.
Une puissance graphique rare
C’est tout ça que raconte Jorge Zentner – Alph-Art du meilleur album étranger au festival d’Angoulême 1997 pour Le Silence de Malka –, sans rien exagérer ni rien omettre de ces jours sanglants. Un récit magnifiquement porté par l’aquarelle brute, apposée directement sur le dessin original sans ébauche préliminaire ni crayonné d’un Carlos Nine, pris par des délais extrêmement courts et rompant donc avec ses habitudes; ce qui donne finalement encore plus de puissance graphique à l’album.
Les couleurs explosent, se mélangent, donnent aux personnages comme aux décors un aspect fuyant, presque fantomatique. Et c’est tant mieux, tant le récit est dur. Là, comme ça, sans rien enlever à la profondeur du récit, ça rend l’ensemble non seulement supportable, mais aussi incroyablement beau.
Pablo Chimienti
L’Amirale des mers du Sud, de Jorge Zentner et Carlos Nine. Éditions de la Cerise.