Éric Salch raconte les folles journées de son ami Marc, devenu agent social dans une résidence autonomie. Sans prendre de gants, il ausculte la vie qui passe du 3ᵉ âge avec tendresse, humour et crudité.
Qu’il s’amuse de la mode (à coup d’insultes qui claquent), dépeigne la vie de père célibataire et encore celle du «mâle blanc», ou s’attaque à l’un des sommets de la littérature qu’est Les Misérables, Éric Salch le fait toujours à sa façon : avec un dessin fait à la va-vite, comme bâclé. Avec un humour féroce, beaucoup de vacherie et d’absurdité aussi. Avec enfin, pour contrebalancer le tout, de la tendresse. Des attributs qui le placent comme l’un des héritiers de Jean-Marc Reiser (Gros Dégueulasse). Rien d’étonnant de savoir que lui aussi travaille chez Charlie Hebdo, à l’instar de son illustre prédécesseur.
Tous deux partagent encore une dernière chose : un regard cru, sans phare, sur l’humanité. Avec Résidence autonomie, celui de Salch se pose sur un établissement (public) pour le 3e âge, ses petits vieux et ceux qui en ont la charge. Un reportage en son cœur, de couloir en couloir, raconté par Marc H., ami de l’auteur avec qui il s’est entretenu une année durant. C’est aussi le temps qu’il est resté dans cet établissement à s’occuper de 45 résidents, parachuté sans aucune compétence par Pôle emploi. «Un job cool, deux nuits pas semaine à être payé pour dormir… C’était exactement ce qu’il me fallait !», se dit-il. Mais il va rapidement déchanter face à l’ampleur de la tâche qui l’attend.
En effet, il y a déjà tromperie sur la fonction : pour lui, comme il le précise sur une première page explicative, être agent social, c’est se mettre à l’écoute des personnes âgées et participer à leur bien-être. En réalité, on lui demande de faire un boulot infirmier (ce à quoi il n’est pas formé). Le voilà donc à trimballer son chariot rempli de médicaments (et de «petits trèfles» tranquillisants) avec, au pied, de bonnes baskets car chaque nuit, il faut parcourir pas moins de dix kilomètres entre les chambres, minuscules îlots de 18 m2 (payés 1 800 euros par mois) dans lesquels les résidents attendent, tant bien que mal, le dernier salut, ou pire, l’Ehpad, dépeint ici comme un mouroir qui «sent la pisse et la merde».
Car si, contrairement à ce que suggère son nom, les occupants ne sont pas si autonomes que ça dans les résidences d’autonomie, ils sont parallèlement bien traités, malgré le manque de personnels (et d’intervenants extérieurs), la solitude, la détresse, la perte de facultés (physiques et mentales), et la mort qui rode. Marc, lui, enchaîne les pas de course et les nuits hachurées, réveillé par ce satané bipeur «qui hurle» à chaque caprice et lui sape le moral. Il découvre également comment le personnel infantilise les seniors, les galères et les plans B, les absurdités administratives, les querelles entre services…
Mais heureusement, il y a les résidents, les gentils comme les plus insupportables, tous atteints de surdité (ici, il faut crier fort pour se faire entendre!) : il y a ceux qui mettent la télévision à fond, d’autres qui l’insultent, celui qui le drague gentiment, les coquettes et les aigris, ceux qui perdent la tête et ceux qui font tout pour la garder. Il y a aussi les chutes (nombreuses), les soins en tout genre, les ateliers récréatifs, le vin et les cigarettes, et même les embouteillages de déambulateurs devant l’entrée de la cantine! Sans oublier les courses en fauteuils roulants, car les vieux, «ce qu’ils veulent, c’est se marrer!», lâche Marc qui, au fil des pages, se montre de plus en plus touché par cette population (comme lorsqu’il raconte le passé, pas si joyeux, de certains résidents).
Si aujourd’hui, on pense toujours à la pandémie qui a mis en relief les conditions de vie parfois indignes, voire inhumaines, des personnes âgées dans certains établissements (confère l’enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs), Éric Salch, lui, préfère alterner les humeurs, entre rire jaune et humour noir, entre tragédie et comédie. Il donne surtout à voir, à travers ce témoignage authentique, la vie qui passe de ces seniors, souvent mis à l’écart, invisibles, oubliés. Une manière de prendre conscience de ce que sont la vieillesse et la fin de vie. À l’heure où la législation sur l’euthanasie et le suicide assisté évolue, voilà une mise en lumière qui prête à réfléchir.
L’histoire
Bienvenue dans la résidence autonomie ! Quoique le mot «autonomie» est un tantinet exagéré. En réalité, cet établissement pour personnes âgées est l’ultime étape avant l’entrée en Ehpad. Envoyé par Pôle emploi, Marc apprend les fondamentaux du métier (en trois jours). Ensuite, il lui reste le plus difficile : gérer les relations avec les pensionnaires et les collègues.