Depuis le ciel, une catastrophe imminente menace la Terre. Plus bas, plusieurs personnages s’entremêlent sans urgence, mobilisés par l’ordinaire d’un quotidien désenchanté. Une oeuvre d’une profonde humanité et d’une beauté graphique.
À la radio, à la télévision et sur les écrans d’ordinateur, les messages se multiplient et ne sont guère rassurants : une météorite (D5M-919-E de son petit nom) se rapproche dangereusement de la Terre. Sa vitesse et sa taille font envisager le pire. La race humaine pourrait en effet entièrement disparaître, comme ce fût le cas pour les dinosaures… Une catastrophe, souvent fantasmée, à laquelle le cinéma comme la littérature ont régulièrement apporté des solutions techniques ou rocambolesques : par exemple, détourner le gros caillou avec une explosion nucléaire ou, plus simple encore, envoyer un super-héros, tout en cape et en muscles, se charger des basses besognes.
Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi, déjà réunis pour Empire Falls Building (sorti chez Noctambule en 2021) préfèrent, eux, l’ordinaire à l’extraordinaire. Ce qui les anime, ce sont les petites histoires du monde, celles de tous ces invisibles qui le font tourner. Qu’importe alors ce qui vient du ciel, aussi alarmant soit-il : l’important, c’est ce qui se passe au sol. C’est tout le sujet des Météores, qui s’attache donc, comme le précise le surtitre, « à ceux qui ne font que passer ». À l’image, une galerie de personnages qui, cataclysme ou pas, trimbalent leur spleen et leur instinct de survie. Des vies entremêlées, sans le moindre artifice.
Il y a Floyd, solide gaillard un peu nigaud, souffrant de troubles de la mémoire (des « blancs », comme il dit), aidé par Garry, son tuteur, alcoolique repenti. Un jour, par hasard, il tombe sur Hollie, une infirmière à domicile tombée en panne de voiture. Ensemble, ils prennent alors le bus 34 de 5 h 46, « qui passe toujours à l’heure ». Un bref contact, qui va ouvrir d’autres rencontres, d’autres chassés-croisés, notamment au sein d’un grande multinationale de meubles (toute ressemblance avec IKEA n’est pas fortuite). Délégué du personnel, Sammy veille aux conditions de travail de chacun mais crève de solitude. Casey, qui vit dans un camping-car à la façon de Frances McDormand dans le film Nomadland, s’inquiète, elle, de la disparition de son chien, alors qu’un client, Don, pourtant bientôt papa, flashe sur elle.
Enfin, loin des turpitudes des adultes, Elijah, fils de Hollie, mène sa vie d’adolescent, faite de skate, de pétards, de bêtises et d’amour naissant. « Une vie machinale, sans objet », écrit le romancier Raymond Carver en introduction, que ces différentes figures tragiques espèrent illuminer d’une étincelle. L’une d’entre-elles le clame, d’ailleurs : « Tout ce que je veux, c’est un peu de lumière! ». Elle se fait rare, toutefois, dans cette ville américaine où la neige ne cesse de tomber, couvrant les cris et les douleurs. Dans ce climat cotonneux, il faut avancer, survivre et faire avec ses traumatismes, ceux existants comme ceux à venir. Heureusement, face à la solitude, l’injustice, l’ennui et les peurs, il y a des feux de joie qui réchauffent les cœurs et les corps, fugaces, mais qui font un bien fou.
Dans la vie, il n’y a pas de personnages secondaires ou principaux. On a tous notre rôle à jouer!
Les Météores fait figure d’exception parmi les 44 meilleures BD de l’année, sélectionnées pour le festival d’Angoulême (qui se déroulera fin janvier). Pour son format à l’horizontale. Pour son atmosphère mélancolique. Pour son rythme au ralenti. Pour ses moments suspendus et ses silences. Pour sa narration chorale. Pour son intention, enfin : celle de célébrer l’espoir au présent et la vie de tous les jours, même si celle-ci persiste dans ses vacheries. Avec son dessin délicat et dans un gaufrier (six cases) volatile, Tommy Redolfi emballe le tout dans des nuances bleutées, grises et noires. Ainsi, au crépuscule d’un monde, chacun va jouer sa partition jusqu’au bout, coûte que coûte. Une nécessité pour Maggie, patiente de Hollie : « Dans la vie, il n’y a pas de personnages secondaires ou principaux. On a tous notre rôle à jouer! ».
Les Météores, de Jean-Christophe Deveney & Tommy Redolfi. Delcourt.
L’histoire
Une météorite se dirige tout droit vers la Terre. Pourtant, pas question de héros qui sauvent l’humanité, mais plutôt des vies de travers entremêlées. Floyd traverse la vie avec son grand et gros corps, ses habitudes et ses « blancs ». Et il y a aussi Gary, Casey, Charlie ou encore Hollie, entraînés dans son sillage… Autant de personnages qui révèlent leurs forces et leurs vulnérabilités face à l’imminence de la fin.