Dans un village où les secrets s’éternisent, une jeune femme cherche à reconstruire son passé, au fil de ses rencontres avec d’autres destins cabossés. Une fiction sur notre irrésistible besoin d’histoires et d’amour, signée d’un pétillant duo.
Il faut de bonnes raisons pour se rendre à Sousbrouillard, «désert au milieu de nulle part» à l’appellation peu engageante. Comme pour doucher les envies d’en savoir plus, c’est un torrent tombé du ciel qui accueille les curieux ou les âmes égarées. De toute façon, rien d’intéressant ne se passe dans cette bourgade. Le lac, aux eaux noires, semble engloutir les souvenirs, les secrets, et même les individus, comme il y a quarante ans, lorsqu’un jeune couple s’y est noyé. Jamais leurs corps ont été retrouvés…
Pourtant, pour Sara, cet endroit «vibre comme une promesse», puisque qu’il était inscrit sur son bracelet de naissance. L’unique indice sur ses origines, longtemps caché par sa tante, celle qui l’a élevée. Puisqu’elle «n’a rien» à perdre et tout à savoir, la jeune femme quitte alors Paris, et se rend dans ce trou paumé où il règne une ambiance mystérieuse, imprégné de fantastique. Ballottée au fil des rencontres, elle va découvrir des destins «cabossés et rocambolesques», hauts en couleur, tristes et émouvants, au point d’en oublier sa quête. Mais toutes ces histoires, mises bout à bout, vont lui en apprendre beaucoup…
Depuis presque dix ans maintenant, Anne-Caroline Pandolfo (scénario) et Terkel Risbjerg (dessin) forment l’un des duos les plus enthousiasmants du 9e art. Parmi les prouesses de ce couple à la vie comme au travail, notons une relecture d’une des légendes de la Table ronde (Perceval), deux parcours de femmes fortes (La Lionne et Serena), un plongeon dans l’art brut (Enferme-moi si tu peux) et, en début d’année, un livre qui mêle fiction et réalité, à la frontière du paranormal (Le Don de Rachel). C’est dans une atmosphère similaire que s’étale Sousbrouillard, qui mêle aussi les humeurs, tantôt mélancolique, tantôt légère.
(Se) raconter sa vie, c’est lui donner du sens
Aussi diverses soient-elles, leurs œuvres sont animées par une envie, essentielle : celle de raconter des histoires. Un désir qui s’affiche en grand et sert ici de trame, notamment à travers les découvertes que va faire Sara. Elle qui aimerait en savoir plus sur son identité va en apprendre beaucoup sur les autres! Un récit à plusieurs voix, qui se croisent et se libèrent. Car (se) raconter sa vie, c’est lui donner du sens. L’énigmatique Octave, l’ancienne diva Ava De Moore et son serviteur Aimé, le séducteur Lazare Molina, l’étonnante Sœur Martine Sauveur et d’autres… Chacun va se révéler au contact de la jeune femme, pour mieux, qui sait, se retrouver…
Sousbrouillard, avec l’élégance et la poésie (dans le texte comme dans le trait) habituelles de Pandolfo-Risbjerg, met en avant plusieurs choses, qui tiennent lieu d’évidence (en apparence) : d’abord l’importance qu’occupent nos semblables dans nos existences, et la nécessité des rencontres, surtout hasardeuses, qui changent parfois le cours d’une vie. Ensuite, qu’il n’est jamais simple d’aimer, ni d’être aimé(e), même (surtout?) au cœur de sa propre famille. Enfin, le besoin de faire partie d’une histoire, grande ou petite, qu’elle soit racontée par les autres, par un livre, par soi.
D’ailleurs, à travers une écriture libre, le tandem n’hésite pas, au fil des révélations, d’emmener leur récit vers le conte philosophique et la fable, osant même un final étrange et beau, quasi irréel. «Je suis là pour sauver les choses de l’oubli, et plus j’y pense, plus je comprends que la mémoire est une fiction», lâche, en guise de synthèse, le personnage principal dans les dernières pages. Oui, les histoires se cachent partout. Il suffit de creuser, ou d’ouvrir quelques tiroirs, pour en apprécier toute la saveur.
Sousbrouillard, d’Anne-Caroline Pandolfo & Terkel Risbjerk.
Dargaud.
Grégory Cimatti
L’histoire
Sara ignore tout de ses origines. Elle n’a en effet jamais connu sa famille. Sur son lit de mort, la vieille tante qui l’a élevée lui confie l’unique indice en sa possession : la moitié déchirée d’un bracelet de naissance. Un mot y est griffonné, c’est un nom de lieu : Sousbrouillard. Sara, en quête de son passé, laisse aussitôt derrière elle sa morne vie parisienne. Elle se rend dans ce village un peu hors du temps, construit autour d’un lac sombre et mystérieux. Elle va y faire de nombreuses rencontres, qui, progressivement, vont lever le voile sur son identité…