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[BD] Le Crépuscule des idiots : « Diou existe, je l’ai créé ! »


Un singe tombé du ciel (d’une navette) apprend à une communauté de macaques l’existence de Diou… Le Crépuscule des idiots, une fable mordante sur l’endoctrinement religieux signée Jean-Paul Krassinsky.

«Certains humains sont bêtes comme des singes, dit-on. Mais il est des singes qui sont sots comme des humains»… Voilà le postulat de départ de l’auteurpour tisser, avec Le Crépuscule des idiots, une satire intelligente sur leserrements des religions de tout poil.

Prenez une communauté de macaques, régie par le mâle dominant. Une organisation structurée selon la loi du plus fort qui va être perturbée par l’arrivée d’un singe rhésus, tombé du ciel –  d’une navette de la NASA (en conformité avec les authentiques essais des années 50-60). Futé et profiteur, il va alors utiliser le «mystère» de ses origines et ses connaissances pour faire croire à tous qu’une divinité existe et régit le monde  : Diou! Les masses vont vite être subjuguées. En résulte ainsi un sacré bazar au cœur de leur organisation sociale…

L’auteur, Jean-Paul Krassinsky ( Les Fables de la poubelle , Sale Bête , Les Cœurs boudinés , Les Petits Soldats …), se lâche et s’offre un sujet qui le fâche depuis longtemps  : la religion. Tantôt cynique, tantôt philosophique, sa fable de presque 300  pages (qui se lisent assez vite) brosse large, ne se prend pas au sérieux, mais décortique toutefois les pernicieux mécanismes de l’endoctrinement. Et avec une utilisation subtile de l’aquarelle, l’auteur fait dans le lucide et le joli.

Le Quotidien : Comment est né Le Crépuscule des idiots ?

Jean-Paul Krassinsky  : Plus jeune, j’ai eu une éducation religieuse. On m’a donc lavé le cerveau déjà tout petit (il rit) . Et la religion s’est invitée dans le débat public depuis un certain temps et je ne parle même pas des évènements récents. Quand on évoque le mariage homosexuel, les cantines scolaires ou la bonne tenue à avoir sur la plage, elle est là! J’en ai conçu un agacement certain et puisque, de toute façon, on ne peut rien y faire, j’ai décidé alors d’en rire!

D’emblée, le nom de l’ouvrage rappelle celui de Nietzsche, Le Crépuscule des idoles . Et, d’une certaine manière, vous aussi, vous luttez contre les fausses croyances…

Oui, tout à fait. Le livre de Nietzsche, c’est un véritable tir aux pigeons assez jouissif sur les religieux, mais aussi le peuple allemand ou même Wagner! J’ai en effet choisi ce titre en référence à un certain esprit, qui pourrait se définir par « rions avec les religions ».

Justement, que symbolise la religion pour vous?

C’est quelque chose pour lequel j’aurais, paradoxalement, presque de la tendresse. Je n’ai aucune rancœur vis-à-vis des gens qui y croient, car elle implique une forme de beauté. Après, on admet des mythes, des personnages, des histoires, un peu comme un enfant pourrait le faire. À mes yeux, c’est une pensée magique qui trouve sa place entre le monstre du Loch Ness, le père Noël ou le monde des fées. Par contre, dans la réalité des faits, la religion a des conséquences plus fâcheuses, mais ça, c’est un autre débat!

Où situez-vous alors votre livre? Du côté du cynisme ou plutôt du côté de la philosophie?

J’ai voulu les deux. Le point de vue qui anime le personnage principal est athée. Par contre, il y a une pirouette à la fin qui pondère un peu la charge. N’oublions tout de même pas que les gens qui usent de la religion comme aujourd’hui ne sont pas dépourvus de cynisme…

Dans Le Crépuscule des idiots , vous avez choisi de mettre en scène des animaux –  en l’occurrence, des singes, comme P’tit Luc dans Ni Dieu, ni bête . Pourquoi ce choix ?

Pour plusieurs raisons. D’abord, j’ai toujours aimé dessiner des animaux, et je considère que, placés dans des personnages de BD, leur impact est plus fort qu’avec des humains. Ensuite, dans l’histoire, l’usage des bêtes dans le récit est une tradition bien ancrée, des Fables d’Ésope à celles de La Fontaine, pour raconter les turpitudes des hommes (…) La référence à P’tit Luc est en tout cas singulière, car ce sont ces ouvrages d' »adultes » qui, petit, m’ont donné l’envie de faire de la BD. C’est un auteur que l’on cite rarement, et pourtant, il est à la tête d’une belle œuvre.

Est-ce un livre « engagé »? Car on vous a connu sur des terrains bien plus ludiques…

La religion est en effet un sujet clivant. Mais dans tous mes livres, j’ai toujours essayé de parler du monde qui m’entoure. C’est une des raisons même de mon travail. Comme je l’ai déjà dit, la religion est un monde qui m’entoure depuis tout petit, et ces derniers temps, un peu trop, même, à mon goût! Oui, ce livre est né d’une réaction. Et comme, invariablement, je prends de l’âge, peut-être que je m’oriente vers des choses personnelles, et plus profondes.

Quand on approche un tel sujet, se met-on des contraintes?

Franchement, non. Je ne redoute pas trop les réactions des singes, quoique, s’ils ont de bons avocats (il rit) … Je ne me suis pas mis de contrainte, de peur de froisser tel ou tel extrémiste. On a affaire à une BD, et je pense que ces gens ne lisent pas. Il faudrait qu’ils entrent dans une librairie, qu’ils l’achètent, la lisent en entier et enfin, la comprennent… C’est un chemin un peu long pour eux! Après, oui, je serais plus en danger si je faisais un petit dessin du prophète sur mon blog.

Dans Le Crépuscule des idiots , il n’y en a finalement qu’une seule qui ne succombe pas à la foi et au mouvement de masse  : la femme, ou plutôt la femelle singe…

Dans le monde religieux, la femme est bafouée, opprimée, méprisée. Pour le coup, la religion reste une dérive masculine, en cheville avec un patriarcat établi. Dans mon histoire, je trouvais ça intéressant d’avoir ce personnage féminin, qui a cette distance et liberté pour faire ce qui l’intéresse. Même si elle est tout aussi attirée par le pouvoir que ses homologues mâles…

Pour finir, et sans dévoiler la fin, comment expliquez-vous la pirouette finale des dernières pages? Diou existe-t-il alors vraiment?

Oui, je l’ai créé (il rit) . Comme tout auteur, je suis le démiurge de ma propre création. Je suis au-dessus de Diou! (…) Sinon, cette pirouette permet aussi de relire le livre à travers un autre point de vue. En somme, le gros de l’ouvrage, c’est comment nous voyons Diou, et la fin, comment il pourrait nous voir… s’il existait!

Grégory Cimatti

Le Crépuscule des idiots, de Jean-Paul Krassinsky. Casterman.