L’auteur revient à la BD reportage et part sur les traces du nucléaire français en randonneur, de la grotte du Pech Merle et ses peintures rupestres jusqu’à Bure, lieu du projet d’enfouissement des déchets radioactifs. Une aventure hautement instructive.
Voici un auteur qui ne fait jamais semblant quand il porte ses projets, y mettant corps, cœur et esprit. On l’a ainsi vu donner de sa personne pour Les Ignorants, livre dans lequel il surveille de près, durant une année, les vignes de son ami Richard Leroy (et à éduquer son palais), tout en le familiarisant, à son tour, à l’univers de la BD. Un peu aventurier et beaucoup pédagogue, voilà deux termes qui résument bien Étienne Davodeau, confirmant ici, une nouvelle fois, ses dispositions pour l’enquête de terrain et le reportage «in situ».
Ce coup-ci, c’est en solo (ou presque) qu’il part en expédition, dans un exercice qui lui est apparemment coutumier : la marche. Épais sac à dos sur les épaules et chaussures bien calées, le voilà donc parti pour une randonnée de 800 kilomètres ou, comme il le dit dès les premières pages du Droit du sol, «l’histoire d’un voyage dans le temps et dans l’espace», entre «deux traces laissées par des Sapiens à d’autres Sapiens».
Concrètement, ce périple d’un mois démarre à Pech Merle, dans le Lot, et se finit à Bure, dans la Meuse. Symboliquement, il débute avec des dessins rupestres vieux de 22 000 ans et s’arrête devant «un cadeau hautement merdique» promis aux générations futures.
Des rencontres qui ne sont pas que le fruit du hasard…
Entre les deux, il y a l’effort de la route, la beauté des sentiers et les rencontres, nombreuses, qui étayent les arguments du marcheur. Celles-ci ne sont en effet pas que le fruit du hasard, mais bel et bien orchestrées par l’auteur lui-même afin d’offrir des «témoignages extérieurs plus construits» que les siens.
C’est que l’on a affaire à des spécialistes en la matière : expert en énergie atomique, agronome, sémiologue, militant, historien… Étienne Davodeau les convie à la ballade, comme d’autres amis, sa femme, son éditeur. D’abord parce qu’une si longue traversée, à plusieurs, c’est quand même plus sympa ! Ensuite parce qu’ils ont tous quelque chose d’intéressant à dire sur l’importance du sol, source de vie, et sur la dangerosité du nucléaire, ses mystères, ses méthodes perverses et brutales, et sa fuite en avant, coûte que coûte ! «On verra bien…», lâche d’ailleurs régulièrement le randonneur pour rire (jaune) de cette inconscience et cet aveuglement.
Marcheur-observateur, l’auteur, carte IGN en main, raconte ce qu’il ressent et ce qu’il voit : il n’hésite pas à prendre des chemins de traverse pour parler dessin et qualité du papier, fait dans la poésie pour raconter le charme de la campagne et la farouche liberté du promeneur, goûte aux moindres détails qui s’offrent à lui, s’indigne des magouilles, du capitalisme, de l’inaction politique et de la répression policière. Mais il ne s’écarte jamais de la route qu’il s’est fixée pour ce récit, à savoir «évoquer notre absolue dépendance à cette planète et à son sol».
Dans son sillage, les questions, forcément, se bousculent : de quelle planète les générations futures hériteront-elles ? Qu’allons-nous laisser à celles et ceux qui naîtront après nous ? Comment les alerter de ce terrible et réel danger pour leur survie ? En somme, comment avancer, collectivement, sur les questions énergétiques, afin de protéger la «peau du monde» et l’avenir de l’humanité. Calons donc notre pas sur celui, bienveillant, d’Étienne Davodeau, et préférons la marche à la course effrénée.
Grégory Cimatti
Le Droit du sol (Journal d’un vertige),
d’Étienne Davodeau. Futuropolis.
En juin 2019, Étienne Davodeau entreprend, à pied et sac au dos, un périple de 800 kilomètres entre la grotte de Pech Merle et Bure. Des peintures rupestres, trésors de l’humanité encore protégés aux déchets nucléaires enfouis dans le sous-sol, malheur annoncé pour les espèces vivantes. À travers sa randonnée, Étienne Davodeau interroge notre rapport au sol, lance l’alerte d’un vertige collectif imminent et invite à un voyage dans le temps et dans l’espace.
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