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[BD] «Là où dorment les Géants» : l’échappée belle de Maurane Mazars


(photo Le Lombard)

Avec Là où dorment les Géants, la jeune autrice s’empare des codes du conte pour glisser quelques réflexions sur les dérives du monde moderne. Le tout avec des couleurs explosives et une créativité de tous les instants.

Non, Maurane Mazars n’est plus une belle promesse du neuvième art. Elle a déjà fait ses preuves, plus rapidement qu’elle ne l’espérait d’ailleurs. C’est en effet avec son projet d’études, Tanz!, qu’elle a fait parler d’elle, et ce, jusqu’à Angoulême, temple de la BD d’où elle repartira en 2021 avec le prix Révélation. S’ensuivra, pour confirmer, chez Steinkis, Les Choses sérieuses, l’histoire du couple mythique que formaient Jean Cocteau et Jean Marais.

Et pour son retour chez Le Lombard, ce jeune talent, 34 ans, va se fixer un challenge : imaginer une histoire qui combinerait sa fascination pour les récits mythologiques, les vieilles illustrations scientifiques, les univers médiévaux magiques et même la fantasy, elle qui se passionne pour le jeu vidéo Zelda depuis ses huit ans. Une échappée «hors du temps et du monde», écrit-elle, rendue nécessaire par les différents confinements. «J’avais grand besoin d’évasion, de nature et de contemplation», précise-t-elle.

Reconnaissant toute la difficulté de l’affaire – celle de construire un univers de toutes pièces, sans histoire préexistante –, elle va alors, pour ne pas s’égarer en chemin, garder ce sujet que l’on retrouve dans tous ses ouvrages : la quête identitaire. Un thème qui tourne autour du nombril, origine de toute chose. Ça tombe bien, son héroïne, Malo, vient de perdre le sien.

À la suite du décès de son père, cette jeune herboriste va donc chercher à le retrouver, ce qui sera le prétexte à une aventure qui, comme dans tous les contes, va faire vaciller ses convictions, lui permettant au passage de porter un regard neuf sur le monde qui l’entoure, sa nature et les gens qui le peuplent.

Et aussi d’en savoir un peu plus sur ses origines. Carte en main, de la forêt aux montagnes où vivent les Alchimistes et où dorment les Géants, elle va aller de rencontre en rencontre avec, en guise de seul tuteur, le don qu’elle a hérité de son père : celui de voir à l’intérieur des gens et de la matière.

Ce récit, c’est une ode aux dominé(e)s

Derrière le côté magique du récit, inspiré de ceux du célèbre conteur danois Hans Christian Andersen et de l’illustrateur russe Ivan Bilibine, il y a beaucoup de choses concrètes. C’est le principe même d’une telle odyssée. Alors, quand Malo tombe sur Achillée, c’est pour évoquer le poids, parfois encombrant, de l’héritage familial. Idem pour cette grand-mère vivant dans les marais, victime de moustiques et de l’avidité des «gens de la ville». Et ainsi de suite, que l’on évoque ce cirque, peuplé de nomades et de marginaux, ou encore cet homme au visage de lune, charlatan malgré lui.

«Je ne veux donner de leçons à personne», dit Maurane Mazars, qui explique que l’une des idées derrière son livre, c’est de déconstruire les logiques d’emprise qui s’appliquent «à l’humain, à l’animal et au végétal». «Ce récit, c’est une ode aux dominé(e)s», lâche-t-elle, persuadée qu’ouvrir des pistes de réflexion, c’est déjà «une forme de militantisme».

Dans son sillage et sur les routes arpentées par son héroïne, il est ainsi question, toujours en filigrane, jamais frontalement, des mécanismes du patriarcat, du capitalisme à tout crin, de la tyrannie des élites et de leur triste cortège : exploitation, persécution, agression, destruction… Mais attention, Là où dorment les Géants n’a rien de sombre.

Dans le ton, sans sentir le besoin de tout expliquer, l’autrice distille une philosophie positive, quelque peu naïve il est vrai, sur l’entraide, la transmission et le rapport à la nature, aux bêtes et aux plantes… Dans la forme, par contre, elle est clairement démonstrative, avec ses aquarelles lumineuses débordant de multiples couleurs, ses enluminures et ses découpages inventifs. Avec elle, à chaque page, c’est un festival de créativité et de teintes, qui attire l’œil et envoûte le lecteur dès les premières pages. À se demander si la véritable magicienne et femme-sorcière, ce n’est finalement pas elle.

L’histoire

Au décès de son père, Malo, une jeune herboriste, a perdu son nombril. Dans l’espoir de le retrouver, elle décide de se rendre à Nix Alba, là où vivent les Alchimistes et où dorment les Géants. C’est en tout cas ce que dit la carte qu’elle a trouvée dans les affaires de son paternel disparu. Elle se lance alors dans un périple, de la forêt aux montagnes escarpées, à la recherche de réponses sur sa famille et, surtout, sur elle-même.