Le Cœur de l’ombre est une petite perle qui nous arrive d’Italie. Un album de près de 100 planches au graphisme surprenant sur les monstres qui se cachent dans le noir.
Luc a dix ans. Il a peur de tout. D’être seul mais aussi des gens. De l’école, de ses camarades, des voitures, du chien des voisins, du bruit, des maladies… mais surtout du noir et de l’Uomo nero qui s’y cache, comme le rappelle la comptine traditionnelle italienne que sa grand-mère lui chantonne
depuis tout petit. Un soir, alors que l’Uomo nero vient, comme toujours, lui faire peur, les deux se touchent. C’est la stupeur pour l’ombre, normalement impalpable. Elle décide donc de prendre l’enfant avec elle, dans le royaume des ombres pour tenter de comprendre ce qui s’est passé. Une histoire riche en détails et logique dans son développement fantastique accompagnée d’un graphisme hors du commun. Un album à découvrir.
Les auteurs sont italiens, l’histoire de l’Uomo nero tirée du folklore transalpin, mais ce Cœur de l’ombre est bel et bien une BD française. «Maintenant, la situation a un peu changé, mais quand on a commencé à travailler sur ce projet, il n’existe pas, en Italie, un endroit où le publier», explique sans détour Laura Iorio, l’illustratrice déjà repérée dans le marché francophone de la BD pour les dessins de June Christy publié en 2009 par les éditions Nocturne. Pour cette nouvelle publication, elle intervient aussi bien dans le scénario (surtout au niveau des dialogues), le dessin qu’à la couleur.
C’est donc bel et bien pour Dargaud et le marché français que Marco D’Amico, Laura Iorio et Roberto Ricci ont réalisé cette histoire. Une histoire universelle, bien que centrée sur cette tradition italienne de l’Uomo nero, qui prend le nom de Boogeyman dans les pays anglo-saxons ou encore du croque-mitaine dans le monde francophone. Une idée conçue au départ par Roberto Ricci (Les Âmes d’Helios, Urban, Delta…) qui voulait «exorciser cette figure maléfique que les adultes utilisent pour faire peur aux enfants quand ils ne sont pas sages». Une manière aussi, pour les auteurs italiens, de faire découvrir cette figure folklorique aux petits Français.
Un univers graphique à la Tim Burton
Une sorte de pont entre ces deux cultures séparées par les Alpes. Une relation représentée, dans l’album, par le croque-mitaine se plaignant justement du fait que c’était normalement à lui de faire peur à Luc, puisqu’il est français. Mais voilà, sa grand-mère est italienne et depuis qu’il est petit, elle l’endort en lui chantonnant la traditionnelle berceuse : Ninna nanna qui parle de l’Uomo nero.
Pour les autres enfants, cette petite comptine n’a pas une grande incidence, mais Luc – dont le prénom se veut un hommage des auteurs au cinéaste Luc Besson – est le plus grand trouillard que la Terre ait jamais porté. Il faut dire que, comme sa sœur a disparu depuis de longues années, sa mère le surprotège, quitte à créer en lui des peurs irrationnelles. «On joue là sur la figure de la « mamma » italienne, qui mérite souvent sa réputation de mère surprotectrice», note Laura Iorio. Les auteurs profitant également de ce beau récit pour dire tout le mal qu’ils pensent aussi d’une certaine manière de faire l’information à coups de scoops sensationnalistes répétés à plus soif par ce qu’ils appellent les «médias de la terreur».
Dans leur récit, c’est la somme de toutes ces peurs qui nourrissent ces ombres et autres figures maléfiques. Des êtres autant apeurés par nous que nous pouvons l’être par eux. C’est ce que va découvrir le petit Luc, une fois embarqué par l’Uomo nero dans le royaume des ombres. Un royaume, certes sombre, mais pas si terrible que ça, avec un aspect très proche de l’univers graphique de Tim Burton. Une inspiration que ne renie pas la dessinatrice.
Bref, il faut prendre son temps pour arriver au bout de la centaine de planches de ce Cœur de l’ombre. Il faut aussi se laisser porter par le côté fantastique de ce récit. Mais le jeu en vaut amplement la chandelle. Le récit est à la fois intense et léger, et le graphisme, réalisé entièrement à la main au crayon et à l’encre, aussi proche du dessin traditionnel de la BD que de celui de l’illustration est une pure merveille. Plus qu’une simple BD, Le Cœur de l’ombre est une pépite à lire et relire !
Pablo Chimienti
Le Cœur de l’ombre, de Marco D’Amico, Roberto Ricci et Laura Iorio. Dargaud.