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[BD] «Interlude» : piano de guerre 


(photo DR)

Un duo belge, passionné d’histoires oubliées ou méconnues, revient sur celle, inouïe, des pianos Steinway parachutés lors de la Seconde Guerre mondiale pour maintenir le moral des troupes américaines.

C’est un récit court qui se lit d’une traite et porte bien son nom : Interlude. L’histoire d’une parenthèse, d’un temps suspendu et de musique aussi qui, pour le coup, prend tout son sens : celui de fêter, de vibrer et de s’évader ou encore, comme le dit l’adage populaire, d’adoucir les mœurs, philosophie particulièrement vérifiable en 1944 quand le monde était à feu et à sang. L’un des personnages, sergent de son état, le reconnaît : «La guerre, ça ne se résume pas qu’aux grands évènements!». Il y en a d’autres, singuliers et anecdotiques, qui prennent en effet tout autant de valeur. Céline Pieters et Celia Ducaju viennent justement d’en exhumer un.

On est à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à La Roche-en-Ardenne, ville située dans la province de Luxembourg, en Belgique. Sur le front, les soldats américains attendent que les Allemands déposent les armes, mais c’est bien connu : «Une guerre, c’est toujours plus long que ce qu’on s’imagine, et quand ça dure, c’est au moral que la victoire se joue», rappelle à nouveau le gradé. Pataugeant dans la boue et un froid humide, ses hommes voient alors tomber du ciel un étrange colis, balancé directement depuis un bombardier B-17. Dans l’imposante caisse en bois capitonnée, un piano qui, le temps d’interpréter et de chanter quelques standards, va les ramener «à la maison», loin de la boucherie.

La musique est plus essentielle pour les vivants que les cercueils ne le sont pour les morts

Subitement, la troupe retrouve le sourire, certains soldats un peu plus que d’autres. Ainsi, John retourne à ses gammes et le sergent Brown fait apprécier sa voix de ténor, tandis que le jeune Andrew tourne les pages des partitions. Mais l’adversaire n’a pas dit son dernier mot, et lorsqu’il passe à l’offensive, il faut vite déguerpir et avancer léger. Mais les trois hommes refusent de laisser sur place l’instrument. Et tandis que le reste de la compagnie file vers Dinant, ils emmènent avec eux, dans la neige et à travers les dangers, le Steinway, symbole de jours meilleurs à venir. Ils ont 48 heures pour rejoindre la troupe, sinon ils seront traités comme des déserteurs. Un petit interlude dans un «merdier interminable»…

Sans rien révolutionner, Céline Pieters (au scénario) et Celia Ducaju (dessin), amatrices de faits oubliés ou méconnus, comme le précise Dargaud, arrivent en BD avec cette folle mais véridique histoire des 2 436 pianos expédiés sur différents fronts, de l’Europe à l’Asie en passant par l’Afrique. Jusque-là, en raison des restrictions sur le cuivre et d’autres matières premières, l’usine Steinway & Son de New York était réquisitionnée pour fabriquer des planeurs et des cercueils. Sur l’insistance de son patron (dont quatre fils combattent en Normandie avec les alliés) et l’écoute du gouvernement Roosevelt, elle va se remettre à construire ses instruments, mais en mode tout-terrain : ils seront très robustes et peints aux couleurs de camouflage. Leur nom : les Victory Verticals, car avec eux, l’issue du conflit sera triomphante et se fera en chansons.

On sent que le duo belge, nouveau venu dans le roman graphique, n’a pas tout mis dans cet Interlude, bien que ses doubles pages charment, évasions colorées qui tranchent avec les teintes glaciales des champs de bataille. Sans oublier le récit qui, bien que mené sur un rythme militaire, donne à réfléchir avec ses horreurs, ses rencontres et ses témoignages (notamment sur la condition des femmes en temps de guerre). Les auteurs se rattrapent en fin d’ouvrage avec un dossier pédagogique, des photos d’archives et, c’est entendu, une compilation des morceaux interprétés dans l’histoire. Oui, réécouter l’orchestre de Glenn Miller ou Louis Prima fait son petit effet. Car comme le clamait en son temps Theodore E. Steinway, déjà définitif sur la question : «La musique est plus essentielle pour les vivants que les cercueils ne le sont pour les morts».

Interlude, de Céline Pieters  & Celia Ducaju. Dargaud.

L’histoire

Hiver 1944. Un épais tapis blanc recouvre les Ardennes. Des mois que les soldats américains désespèrent dans ce froid humide et dans cette boue qui s’accroche aux bottes. Mais un jour, un parachute dépose une caisse à quelques mètres du campement. Des munitions? Un ravitaillement d’urgence? Ce qu’elle contient est bien plus étonnant et provoque bientôt une intense euphorie au sein de la Division, qui se retrouve alors devant… un piano! Avec lui, la musique du pays ranime l’enthousiasme. Cependant, quand des blindés nazis menacent le camp, il faut partir d’urgence et laisser ce qui n’est pas essentiel. Malgré l’ordre, trois soldats refusent d’abandonner l’instrument, au risque d’être déclarés déserteurs…

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