Cherchant depuis cinq ans, en vain, à adapter l’un de ses albums pour le grand écran, Hervé Bourhis, avec Animal Social Club, raconte les coulisses du cinéma français et règle ses comptes (pour de rire) avec cette usine à faux-semblants.
Ils n’arrêtent pas de courir, sautent dans les trains pour aller bénéficier des aides régionales, flattent les techniciens (surtout ceux qui officient dans le jury des Césars), se mettent sur leur 31 pour aller poser à Cannes, s’épuisent en arguments pour convaincre les acteurs et actrices à jouer dans leur dernier projet… Karine et Thomas, deux scénaristes dont le couple bat sérieusement de l’aile, restent solidaires quand il s’agit de défendre (et vendre) Doux Foyer, «film définitif sur le confinement, choral, épique, intime, résilient et terriblement interpellant».
Un «blockbuster d’auteur», comme ils le dépeignent, qui raconte une famille pendant la pandémie. Soit trois générations pour trois histoires d’amour contrariées… En face d’eux, leurs interlocuteurs ne semblent pas passionnés par le récit. D’ailleurs, a-t-il vraiment encore de l’importance? Car dans ce monde du cinéma (français pour le coup) qui «rend zinzin», l’artistique semble passer au second plan. Ce qui compte avant tout, c’est le copinage, la vanité, la cupidité, réflexes qui animent ce milieu en vase clos, véritable usine à faux-semblants – et à faux culs!
Dans un rythme haletant à la 24 Heures Chrono – ils n’ont que trois semaines pour boucler le casting – Thomas et Karine passent par tous les états et se coltinent les caprices, comme les enfantillages, d’une troupe haute en couleur : à l’affiche de ce projet, en effet, un producteur trop bronzé qui abuse du «franglais», un réalisateur octogénaire qui sucre les fraises (aux airs de Jean-Luc Godard) et son agent hypocondriaque, un jeune youtubeur à trois millions d’abonnés dans le rôle-titre et une actrice légendaire des années 1960 (qui ressemble à Catherine Deneuve), aussi capricieuse qu’alcoolique! Entre anciennes fâcheries et addictions, le duo n’est pas près de s’en sortir…
On connaissait l’hyperactif Hervé Bourhis pour son généreux travail, très personnel, autour de la musique – notamment l’incontournable Petit Livre rock (2007) – bien qu’il se soit déjà amusé du monde du cinéma à travers sa série «jeunesse» Naguère les étoiles (parodie de Star Wars réalisée avec Rudy Spiessert). Dernièrement, c’est une tout autre œuvre de sa bibliographie qui fait parler d’elle : Le Teckel, road trip à la française en CX Break et farce politique qui ramène à l’esprit de Valéry Giscard d’Estaing. Un succès qui va le conduire à vouloir l’adapter pour le cinéma. Cinq ans plus tard, rien n’est encore sur les rails…
Malgré l’amère tentative – toujours en cours de négociation d’ailleurs –, Hervé Bourhis a au moins découvert l’envers du décor, avec toutes les difficultés que l’on peut rencontrer pour faire un film, que cela soit au niveau du casting, du financement ou du planning. Animal Social Club, un peu comme la série Dix pour Cent, est donc le résultat de ses observations et rencontres, bien qu’il aille plus loin dans la démonstration, car ici, «tout le monde est un peu dingue», confie-t-il. Des galères et des miracles racontés en quatre actes (épilogue compris) menés tambour battant.
Dans cette comédie au vitriol, Hervé Bourhis, toujours aussi branché «culture populaire», rend aussi hommage à ce drôle de monde qu’est le 7e art, et à ceux qui le font, en coulisses ou sur le devant de la scène. Il truffe ainsi son récit de quelques clins d’œil – comme La Nuit américaine, de François Truffaut – et de références à certaines figures célèbres (Duras, Depardieu, Gainsbourg…), s’offrant même le loisir, en grand fan d’Yves Robert et Jean-Loup Dabadie qu’il est, de croquer le casting complet d’Un éléphant ça trompe énormément (Rochefort, Bedos, Lanoux…).
Mieux, dans une fin rocambolesque en forme de fable animalière sur fond de virus, il rend aussi hommage au genre d’horreur ou d’épouvante, qu’il aborde avec un même plaisir moqueur. Un spectacle, sans fard ni paillette, mais avec une bonne dose de dérision, qui s’apprécie comme une bonne comédie. Bien évidemment, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite!
Animal Social Club, d’Hervé Bourhis.
Dargaud.
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite!
L’histoire
Thomas et Karine, un couple (en péril) de bobos parisiens, scénaristes pour le cinéma, tentent de monter un film après la pandémie de covid-19. Ils présentent leur projet aux financeurs, car pour que les banques s’engagent, il faut d’abord réunir un maximum d’aides régionales. Ensuite commence le bal des hypocrites et des mégalomanes : le casting. Il s’agit alors de satisfaire les exigences des uns et les caprices des autres sans perdre de vue l’objectif : une affiche «bankable»! Enfin, le tournage peut commencer et ça, c’est encore une autre histoire…
Grégory Cimatti