Première femme exposée au musée national d’Art moderne et l’une des rares célébrées de son vivant, Germaine Richier (1902-1959) retrouve aujourd’hui sa place parmi les stars de la sculpture du siècle dernier. Sa petite-nièce, Laurence Durieu, la raconte.
Tout est une question d’exposition, de mise en lumière. Il y a celle du Centre Pompidou à Paris, inaugurée il y a quelques jours seulement. Un hommage un peu tardif, certes, mais abondant, avec près de 200 sculptures, gravures, dessins et peintures. Et il y a eu, il y a presque sept décennies, celle au musée national d’Art moderne. En 1956, soit «la même année que Matisse», Germaine Richier y recevait un honneur national. Logique si l’on s’en tient au discours d’inauguration, qui parle d’une artiste «la plus complète qui soit», douée d’une «bouleversante imagination».
Aujourd’hui, Laurence Durieu poursuit les présentations pour mieux inscrire sa grand-tante dans la légende de la sculpture, aux côtés des Rodin, César, Brancusi et autres Giacometti. Édité chez Bayard dans son nouveau label «pour adultes» (Graphic’), son livre débute et se termine justement avec la célébration parisienne, où on découvre Germaine Richier, sous l’encrage noir d’Olivia Sautreuil, à la fois heureuse et fragilisée par la maladie. Malgré un malaise, elle arrive à aller saluer sa «vieille amie» la Sauterelle, une de ses œuvres phares, croisement entre la femme et l’insecte, car, selon la sculptrice, on est «d’abord animal et de surcroît humain».
Un être «hybride», terme cher à l’artiste morte en 1959 après une carrière fulgurante (d’à peine 25 ans), que l’on va régulièrement retrouver dans l’ouvrage, dès l’entame d’ailleurs avec son enfance en Provence. Au cœur de la garrigue, la petite fille affiche déjà un caractère bien trempé. Rêveuse, libre et affranchie, elle préfère les «mystères» de la nature aux bancs d’école. Et même si «le monde de l’art n’est pas fait pour les femmes», proclame son père, elle va s’y plonger corps et âme, animée par une force qui l’a portée toute sa vie : c’était cela qu’elle devait faire, et rien d’autre.
Après avoir étudié aux Beaux-Arts de Montpellier, elle rejoint l’atelier, à Paris, du fameux Antoine Bourdelle, dont elle a été la «dernière» élève de 1926 à 1929. De cette formation classique, où elle apprend à «désapprendre» et faire «mentir le compas», naîtront ses tout premiers travaux, loin de ses futures sculptures fantasmagoriques, mais à l’ADN artistique déjà clair, centré sur l’humain. «Plus je vais, plus je suis certaine que seul l’humain compte», écrit-elle ainsi en 1956. Des visages, puis des corps, parfois creusés pour mieux refléter les tourments intérieurs.
«L’éternité lui est assurée !»
Des figures de bronze, comme l’affirme alors le public, «d’une terrible vitalité intérieure», presque vivantes, comme si «on pouvait tâter leur pouls». On dit que pour L’Orage et L’Ouragane (son pendant féminin), sculptures massives de près de deux mètres, Germaine Richier avait conçu des tombes en pierre, faites sur mesure… Plus tard arriveront ses œuvres à la croisée des genres, à la fois animales (araignée, mante religieuse…), végétales et humaines, aux lignes brisées et aux positions exagérées, avec griffes et antennes. D’autres feront écho, encore, à l’univers de la mythologie et à celui des contes et légendes, comme sa sculpture de cheval à six têtes.
De ses différents maris (l’artiste Otto Bänninger, puis l’écrivain et critique d’art René de Solier) aux cours qu’elle donne avec assiduité aux étudiants, de son exil douloureux à Zurich (Suisse) durant la Seconde Guerre mondiale à ses modèles (dont l’imposant Nardone), Germaine Richier va produire un «art total», parfois dérangeant, qui cherche à «voir sous la surface des choses», quitte à surprendre, voir à déplaire – à l’instar de son Christ d’Assy, déshumanisé, qui a fait scandale à l’époque. Après avoir livré, comme elle le reconnaît, «une bataille, convaincue et acharnée», la sculptrice «inclassable» mérite bien un trône juste à elle. La sauterelle en est persuadée : «L’éternité lui est assurée !»
L’histoire
Remise en lumière d’une artiste majeure, Germaine Richier, immense sculptrice et dernière élève de Bourdelle. Une trajectoire solaire qui traverse tambour battant le XXe siècle, en poussant les limites, en questionnant la nature et le vivant, et qui trouve une résonance toute particulière avec notre époque en quête de racines et d’ensauvagement.
Germaine Richier – La Femme sculpture, de Laurence Durieu et Olivia Sautreuil. Bayard Graphic’.
L’exposition «Germaine Richier», au Centre Pompidou (Paris), est à découvrir jusqu’au 12 juin.