Deux ans après Dracula, Georges Bess s’empare d’une autre figure mythique du genre fantastique : Frankenstein. Avec un même souci d’authenticité et dans un graphisme à la beauté angoissante.
Avec Georges Bess, il est question de réhabilitation. C’est pourquoi, dans un souci d’honnêteté, il colle son nom à ceux des auteurs originaux. D’abord avec Bram Stoker, créateur de Dracula (1897), ensuite avec Mary Shelley, génitrice de Frankenstein (1818).
Deux monstres qui, depuis leur naissance, n’ont cessé d’être passés à la moulinette de la culture populaire, au point d’en perdre parfois leur âme (damnée). Ainsi, avec l’auteur français, le vampire de Transylvanie perd son romantisme – véhiculé au cinéma par Francis Ford Coppola notamment – pour montrer ce qu’il est vraiment : un prédateur.
Une histoire hors du commun
Idem pour l’imposante créature recomposée qui, sous ses traits repoussants, bestiaux, est en réalité un être intelligent, sensible, humaniste même. Bien loin, en somme, des incarnations de l’iconique Boris Karloff ou, plus récent, de celle portée par Robert De Niro, où on le voit incapable de sortir plus de trois mots. «J’étais bienveillant et bon, la misère a fait de moi un monstre !», hurle-t-il au monde dans la version de Georges Bess qui, du début à la fin de l’ouvrage, prend le parti de respecter à la lettre le récit initial.
On retrouve donc dès les premières pages l’ambiance glaciale du pôle Nord, sous l’écriture du capitaine d’un bateau piégé par les glaces. Lui et son équipage vont être les témoins privilégiés d’une histoire hors du commun : celle racontée par un scientifique épuisé et aux portes de la mort, recueilli à bord après sa vaine tentative de retrouver un colosse qu’il a lui-même créé.
Un jeu du chat et de la souris entre un érudit qui s’est pris pour Dieu et son œuvre contre-nature qui aurait tellement aimé vivre parmi les hommes, mais condamnée à la souffrance, à l’incompréhension, au rejet. Deux êtres résolument seuls, animés par de vifs sentiments de haine et de vengeance. Et en creux, cette question, essentielle : le créateur vaut-il mieux que son monstre ?
Déstructuré
Un destin doublement tragique pour une histoire bouleversante qui va bien plus loin que les canons de l’horreur pure et dure. Parlons plutôt de monument gothique, auquel s’attaque Georges Bess avec respect.
Pour ce faire, il privilégie le noir et blanc – parfait pour ce genre d’atmosphère baroque, ramenant aux superbes dessins de Bernie Wrightson qui avait illustré le Frankenstein de Mary Shelley en 1983. Un graphisme romantique plein de détails et au trait minutieux, qui permet au lecteur de se perdre totalement dans les pages, en suivant la fuite hasardeuse des deux personnages.
J’étais bienveillant et bon, la misère a fait de moi un monstre!
Mieux, si le récit est décomposé en chapitres, son approche n’en est pas moins libre et affranchie. Déstructuré : tel est le bon terme pour définir le cadrage et le découpage de l’auteur français, qui confie être souvent «en transe» quand il s’active sur sa planche à dessin.
Un terme qui n’est pas usurpé quand on découvre ses nuages ou ses icebergs soulignés de zébrures d’un noir profond, quasiment psychédéliques.
Dans le même ordre d’idées, il n’hésite pas non plus à s’étaler sur deux pages ou à s’affranchir des cases. Pour honorer un tel chef-d’œuvre, narrant le cauchemar d’un monstre et la folie d’un homme, il fallait une patte artistique à la hauteur. Georges Bess n’a pas failli et signe une nouvelle pépite graphique incontournable. Au point d’attendre, avec lui, qu’une autre créature revienne prochainement à la vie.
Frankenstein,
de Georges Bess
Glénat.
L’histoire
Il est apparu dans le grand Nord, gigantesque, à l’arrière d’un traîneau tiré par des chiens. Personne n’a vu son visage. Les hommes qui l’ont observé étaient à bord d’un navire qui tentait d’ouvrir un passage à travers les glaces du pôle. Ce n’est que le lendemain qu’ils comprendront.
Victor Frankenstein apparaît à son tour sur la banquise. L’homme est à bout de forces, hagard. Dans son journal de bord, le capitaine Walton retranscrit les mots de cet homme, scientifique de son état. Longtemps, il a dévoré les livres, disséqué les corps, jusqu’à ce qu’il découvre un jour comment donner la vie. Il ira au bout de l’expérience. Il va le regretter…