Sébastien Verdier et Pierre Christin sont de retour en librairie, en binôme, avec une biographie de toute beauté, Orwell (éditions Dargaud). Une vie à redécouvrir.
Vous avez dit Eric Blair ? Probablement seuls les experts en littérature anglaise savent de prime abord faire le lien entre ce nom et celui de George Orwell. Il s’agit pourtant du même homme. Un homme à la vie bien remplie, comme le rappellent les auteurs Pierre Christin et Sébastien Verdier.
Deux auteurs qui s’amusent à questionner leur lecteur : «On peut se demander ce qu’aurait été son œuvre s’il s’était appelé P. S. Burton, un pseudonyme qu’il utilisait parfois dans les bas-fonds», «Qu’aurait vécu ou écrit un individu du nom de H. Lewis Allways ?», «La même chose ou pas du tout qu’un auteur du nom de Kenneth Miles ?» Finalement ce sera Orwell, du nom d’une rivière où Eric Blair aimait aller pêcher.
Au-delà de l’anecdote, l’album s’intéresse à Orwell avant Orwell, pendant Orwell et après Orwell. On le découvre enfant, quand il aimait se tenir sur la tête – «On fait plus attention aux gens quand ils sont à l’envers» –, puis élève à l’école Saint-Cyprian qui lui ouvrit ensuite les portes du prestigieux collège d’Eton. Des lieux fréquentés par la noblesse et la haute bourgeoisie, mais à l’inverse de la plupart de ses condisciples au lieu d’aller étudier à Oxford ou Cambridge, il entra dans la police birmane.
C’est là, loin de la Grande-Bretagne, qu’il commença à s’intéresser aux différences de classe, à comprendre les méfaits de l’impérialisme, à s’ouvrir aux autres, tous les autres, et à se faire une conscience politique, loin des partis, des politiciens, mais proche d’un socialisme libertaire. Une conscience qui le mènera à Paris, où il travaillera en tant que plongeur dans un grand hôtel, puis dans les bas-fonds de Londres à la rencontre des laissés-pour-compte, ensuite, du côté de la Catalogne, pendant la guerre d’Espagne pour lutter contre les franquistes.
Des écrits toujours d’actualité
Autant de vies vécues en tant qu’acteur, tel était son besoin de voir de ses propres yeux, de participer à l’histoire. Du vécu qui lui servira de base, ensuite, pour de nombreux ouvrages. Au point qu’il est considéré par certains comme l’un des inventeurs du reportage d’immersion sous identité secrète.
Il ne faudra pas moins de 160 pages pour raconter cette vie débutée en 1903 en Inde et achevée en 1950 à Londres. Une vie que les auteurs racontent presque en entier. Un parcours passionnant et tumultueux qui, sans oublier ses œuvres, méritait vraiment, lui aussi, d’être narré.
Christin et Verdier mêlent ainsi une narration en voix off, avec un narrateur omniscient et contemporain au lecteur, des dialogues imaginés par les auteurs et des textes tirés des écrits d’Orwell : 1984 et La Ferme des animaux, bien sûr, mais aussi Hommage à la Catalogne, Le Quai de Wigan, Dans la dèche à Paris et à Londres ainsi que d’autres essais et chroniques.
Si on peut regretter des ellipses un peu brusques – la mort de sa femme par exemple, ou encore l’écriture de 1984 – si on peut être troublé par le passage du récit de la vie d’Orwell aux récits écrits par Orwell, cette biographie dessinée est passionnante tellement l’homme est anticonformiste et tellement ses écrits semblent toujours d’actualité.
Passionnante aussi parce que le dessin noir et blanc, réaliste et précis de Verdier est ici et là, enrichi par des participations d’autres dessinateurs : André Juillard, Olivier Balez, Manu Larcenet, Blutch, Juanjo Guarnido ou encore Enki Bilal.
Pablo Chimienti