Adaptation du roman de Virginia Reeves, Un travail comme un autre plonge dans l’Alabama des années 30. Son auteur, Alex W. Inker, convoque Steinbeck, O’Brother des Coen et «The Bitter Years» de Steichen, tissant une histoire «éclairante» à plus d’un titre.
Avec son nom et cet authentique plongeon dans les années amères de l’histoire américaine, on pourrait croire qu’Alex W. Inker vient des États-Unis. Il n’en est rien : ce jeune auteur est français, soutenu depuis ses débuts en 2016 par l’éditeur Sarbacane. Mieux, chacun lui reconnaît un talent certain, comme en témoignent ses trois précédents ouvrages : Apache, Panama Al Brown, Servir le peuple. Des livres, en effet, qui brillent par un graphisme puissant et des couleurs soignées appuyant des thématiques disparates. Ainsi, après le polar «parigot», la biographie d’un boxeur et un récit sur la propagande communiste, on part dans les années 30, en plein cœur de l’Alabama.
Comme le décrit si bien John Steinbeck dans le classique Les Raisins de la colère (1939), ou la tout autant célèbre série photographique «The Bitter Years», exposée au MoMA, à New York, par Edward Steichen (1962), on est là sur les terres poussiéreuses de l’après-krach boursier de 1929. La faillite assomme les paysans, comme les ouvriers, la sécheresse sévit, et il ne reste que l’exode pour espérer des jours meilleurs. Face au travail colossal et à la misère ambiante, les fermes se vident.
La sienne, Roscoe ne veut pas la quitter, même si cette condition de métayer ne lui convient pas, lui qui a simplement suivi sa femme, Mary, héritière de l’exploitation familiale. Lui, ce qui l’agite, c’est l’électricité, cette puissance magique qui, comme le progrès, passe sous le nez de gens de sa condition. Mais comme il était du métier, il trouve une solution illégale pour soulager ses finances et sa tâche : détourner une ligne électrique de l’Alabama Power. Mais comme Prométhée dérobant le feu sacré de l’Olympe, sa manœuvre va avoir de graves conséquences…
On naît avec quelque chose dans les veines, pour mon père, c’était le charbon, pour Mary, c’est la ferme, pour moi, un puissant courant électrique
Fidèle au roman dont il s’inspire, Un travail comme un autre suit la marche de l’Histoire, à une époque où les banques ont mis sur la paille de nombreuses familles, déjà serrées à la gorge par une terre impitoyable. Parallèlement, d’autres sujets sont abordés : la ségrégation raciale, la résistance au progrès, les conditions carcérales et, par extension, les programmes d’apprentissage et la peine de mort. À ce propos, rappelons que la prison d’État de Kilby où est enfermé Roscoe a été pionnière aux États-Unis dans la réinsertion des prisonniers. Précisons aussi que l’Alabama a été le premier État américain à avoir adopté la chaise électrique…
Mais en s’inspirant du livre de Virginia Reeves (2016) jusqu’à en garder le nom, Alex W. Inker fait lui aussi dans l’histoire d’amour, avec les mêmes personnages, Roscoe et Mary. Il reconnaît s’être entiché de ce couple «bancal», qui ne succombe pas aux clichés d’alors : le premier n’est pas à l’image du «père qui combat jusqu’à l’épuisement», idem pour la seconde, qui ne correspond pas aux standards de la «mère courage». Mieux, leur rencontre se fait autour de la littérature, thème qui revient régulièrement dans le récit (Roscoe s’occupera même de la bibliothèque du pénitencier).
Si le fond est maîtrisé et emballant, que dire alors de la forme! Toujours de l’aveu de l’auteur, c’est «dans des vieux Zig et Puce», BD française datant des années 20, qu’il va avoir l’idée de cette dominante d’orange, quasi fluorescente, et de bleu. Une subtilité graphique, qui lorgne même vers le pointillisme, d’un plus bel effet. Le dessin, «vintage», n’est pas forcément séduisant, mais, à l’aide de traits bruts renforcés d’un puissant encrage, s’impose de toute sa force. Et comme le travail d’artisan se respecte, les éditions Sarbacane se joignent au geste en emballant le tout de la plus belle des manières.
Grégory Cimatti
Un travail comme un autre, d’Alex W. Inker. Sarbacane.
L’histoire
Alabama, 1920, Roscoe T. Martin est fasciné par cette force plus vaste que tout qui se propage avec le nouveau siècle : l’électricité. Il s’y consacre, en fait son métier. Un travail auquel il doit pourtant renoncer lorsque Mary, sa femme, hérite de l’exploitation familiale. Année après année, la terre les trahit. Pour éviter la faillite, Roscoe a soudain l’idée de détourner une ligne électrique de l’Alabama Power. L’escroquerie fonctionne à merveille, jusqu’au jour où son branchement sauvage coûte la vie à un employé de la compagnie…