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[BD] Copenhague, petite sirène et grands enfants


Dans l’esprit d’un Wes Anderson, Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg tissent un polar loufoque, rythmé et doux-amer sur le pouvoir de l’imaginaire, et la nécessité de l’entretenir.

Depuis plus de dix ans, Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg forment l’un des duos les plus enthousiasmants du 9e art. Parmi les réussites de ce couple à la vie comme au travail, notons une relecture d’une des légendes de la Table ronde (Perceval), deux parcours de femmes fortes (La Lionne, Serena), un plongeon dans l’art brut (Enferme-moi si tu peux), une variation autour du mythe de la sorcière (Le Don de Rachel) et encore une enquête sur un lourd secret de famille (Sousbrouillard). Aussi diverses soient-elles, leurs œuvres sont toutefois animées par une envie, centrale : celle de raconter des histoires, plus ou moins réelles, plus ou moins fantasmées.

C’est une nouvelle fois le cas avec Copenhague, qui permet au dessinateur de retrouver sa terre d’origine (il habite à Strasbourg) et à sa compagne, au scénario, d’imaginer un récit sensible et burlesque au cœur de la capitale danoise. Et quoi de mieux que La Petite Sirène, statue de bronze érigée sur un rocher il y a plus d’un siècle et principale attraction touristique du pays, pour servir d’appât. Inspirée du conte d’Andersen, autre sommité nationale, celle-ci fut l’objet, au fil du temps, de multiples actes de vandalisme : elle a en effet été dérobée, dynamitée, démembrée, décapitée, peinturlurée, jetée à l’eau… Un innocent symbole mis pourtant à rude épreuve.

Traductions hasardeuses

C’est tout le sens de ce polar fantaisiste qui s’enracine dans la ville dite des «contes de fées». Et comme le dirait un certain Shakespeare, il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Imaginez donc : on vient de découvrir le corps sans vie d’une sirène ! Sous le choc, c’est toute une nation qui se ferme au monde, et Nana Miller, alors en vacances, y est coincée pour une durée indéterminée, loin de Paris où elle a laissé sa fille de 14 ans. Un cauchemar! Par chance, elle rencontre Thyge Thygesen, un grand farfelu très attachant. Ensemble, ils décident alors d’enquêter pour «accélérer les choses». Deux détectives de pacotille rapidement dépassés par une histoire trop grande pour eux…

Au cœur cette improbable aventure, menée à hauteur de triporteur, le tandem va se frotter à toute une galerie de personnages hauts en couleur, à l’instar des films doux dingues et nostalgiques de Wes Anderson. Dans le lot, il y a un drôle de gourou, un homme qui déteste les enfants et les sirènes (qu’il compare à des «morues»), une fanfare qui sème le chaos, une reine dépitée qu’on ait touché à «un trésor, notre cœur, notre poésie et notre enfance à tous», sans oublier une ribambelle multicolore de compagnons à quatre pattes. Le tout dans d’hasardeuses traductions (façon Lost in Translation) et une ville de Copenhague à l’arrêt, évident rappel à la crise sanitaire et aux confinements de 2020.

Tartine de hareng-cannelle

Pour Anne-Caroline Pandolfo, justement, cette période de paralysie généralisée a été surmontée grâce à l’imaginaire de tous. D’où cette question : que se passerait-il si on ne pouvait plus s’échapper par le rêve? Copenhague, récit hybride coincé entre polar, histoire d’amour et chronique d’une société qui oublie ses valeurs fondatrices, y répond, notamment à travers les folles tribulations de ses personnages principaux, deux grands enfants perdus dans un monde à la dérive. Sur presque 300 pages, la scénariste déroule une histoire qui se lit d’une traite grâce à ses rebondissements et ses dialogues bien sentis. Et son compère anime l’ensemble d’un graphisme souple et stylisé qui plaira aux plus jeunes.

Sans forcément le vouloir, pour leur dixième livre réalisé à quatre mains, les auteurs tissent ici un récit très européen, alors que le continent connaît une période des plus troubles. Pas sûr que leur discours sur les vertus de l’entraide et les bienfaits de la candeur soit toutefois entendu. On pourra toujours se consoler avec une tartine de hareng-cannelle et une bonne tasse de cacao chaud!

L’histoire

Fatiguée par la vie à deux avec sa fille adolescente de 14 ans, Nana Miller s’envole, sur un coup de tête, pour un petit séjour de rêve à Copenhague. Son arrivée est bouleversée par une annonce presque irréelle : on a découvert, en plein centre-ville, le corps d’une sirène! Le Danemark est en émoi, on décrète un deuil national. Les habitants s’enferment chez eux, les rues se vident, les aéroports sont hors service… Nana est bloquée dans ce pays pour une période indéterminée. Dans son hôtel presque désert, elle fait la connaissance de Thyge Thygesen, grand farfelu terriblement attachant, qui va devenir son compagnon d’infortune. Ils décident alors de mener l’enquête…