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[BD] Colorado Train : le Club des quatre en pleine zone


(Photo : Sarbacane)

Au cœur d’une Amérique profonde, dévastée par l’alcoolisme et les traumatismes du Vietnam, des adolescents paumés tuent l’ennui et enquêtent sur un mystérieux tueur cannibale. Entre Larry Clark et Stephen King.

D’emblée, pour apprécier comme il se doit Colorado Train, il faut aller à la fin de l’ouvrage et ouvrir un code QR. L’auteur y a en effet glissé une playlist personnelle d’une pure veine «nineties» (Nirvana, Pixies, Fugazi, Green Day, Metallica…) afin de mieux plonger dans les aventures d’une bande fan de skate. Comme dans un film de Larry Clark, le casque vissé sur les oreilles et le walkman ajusté à la ceinture, on glisse en compagnie d’un quatuor d’adolescents tuant l’ennui à coup d’alcool, de cigarettes et d’errances sans fin. Il faut dire que le panorama fait peine à voir : dans ce trou paumé au cœur de l’Amérique profonde, tout est d’une grisaille déprimante. Même la croissance économique lui a faussé chemin.

C’est dans ce monde-là que grandit Michael, jeune paumé aux cheveux mi-longs, baggy, sweat à capuche et Converse aux pieds. Il y a aussi Durham, le gamin à la rue et accro au crack, le gros Donnie, qui s’efforce d’échapper aux brutes du collège, et Suzy, la rebelle androgyne, toujours un coquard au coin de l’œil laissé par son shérif de père. Les autres ne sont guère plus gâtés, entre des parents camés, en cavale, en prison ou habités par les démons du Vietnam. C’est le triste quotidien à Durango, ancienne ville minière écrasée par les montagnes rouges du Colorado.

Entre la pauvreté, visible à chaque coin de rue, et la drogue facile, la jeunesse fait l’école buissonnière et rêve d’un avenir loin de cette misère. Sous un soleil cuisant de juillet, la bière est indispensable et les amours possibles. Mais il y a aussi cette intrigante disparition qui va virer au fait divers macabre : Moe, caïd du coin, est retrouvé dans une grotte les tripes à l’air, à moitié dévoré. Remonte alors à la surface la légende du wendigo, mi-homme, mi-bête et dévoreur d’enfants jamais rassasié. Les quatre amis, un peu pour se faire peur, mènent l’enquête. Mais dans l’ombre, le tueur les regarde s’agiter. Avant de les prendre en chasse…

On l’aura bien compris, avec Colorado Train, on est bien loin des péripéties du Club des cinq ou encore des Goonies. Dans un train d’enfer, à travers de très courts chapitres, Alex W. Inker passe de la fresque adolescente (avec cette soif d’ailleurs, ce mal de vivre à fleur de peau et ces premiers flirts maladroits) au polar avant de virer dans l’horreur – avec de vraies scènes sordides. Il s’appuie surtout sur le livre éponyme de Thibault Vermot (2017), roman également sorti chez Sarbacane qu’il met toutefois à sa sauce (en le déplaçant notamment dans les années 90). Une adaptation qui, aujourd’hui, fait d’emblée penser à la série à succès Stranger Things, même si les références sont ailleurs.

En effet, l’auteur avoue ici son attachement à la bibliographie de Stephen King, maitre incontesté de l’horreur, et notamment aux œuvres les plus classiques que sont It (1986) et The Body (1982) – qui deviendra, rappelons-le, Stand By Me pour le cinéma – avec ces thématiques récurrentes sur l’enfance et l’amitié mises à rude épreuve (le tout dans une ambiance anxiogène). Alex W. Inker montre aussi qu’il continue à être un auteur insaisissable. Ainsi, après le Paris d’après-guerre  (Apache), la boxe (Panama Al Brown), la propagande communiste (Servir le peuple), l’Amérique de Steinbeck (le superbe Un travail comme un autre) et le drame ouvrier (Fourmies la Rouge), il se tourne avec brio vers le genre horrifique qu’il souligne d’un noir d’encre sans espoir. Un côté obscur qui s’ajoute à une palette décidément renversante.

Colorado Train, d’Alex W. Inker.
Sarbacane.

Dans un train d’enfer, Alex W. Inker passe de la fresque adolescente au polar avant de virer dans l’horreur

L’histoire

Années 1990. Une ancienne ville minière écrasée de toute part par les montagnes rouges du Colorado. C’est au cœur de cette Amérique oubliée, dans cette décennie de prospérité économique, que grandit Michael, Durham, Donnie et Suzy. La vie se passe sans véritable horizon, entre le skate, l’école buissonnière, les rêves, les premières fois… Jusqu’au jour où un gamin de la ville qui avait disparu est retrouvé, à moitié dévoré. Aussitôt, les quatre amis décident d’enquêter. Dans l’ombre, le tueur – la Chose? – les regarde s’agiter. Et bientôt les prend en chasse.