Après le Centre Pompidou-Metz (où il travaillait), Charlie Zanello raconte l’intérieur de Radio France. Une plaisante immersion d’une année dans ce haut lieu du journalisme, de la culture et de la musique, avec ses anecdotes et ses personnages forts.
Charlie Zanello est un reporter atypique, en décalage. Du genre maladroit, désorganisé, jamais véritablement à sa place, où qu’il se trouve… Pourtant, ses «investigations», menées crayon en main, sont éclairantes, certes loin de celles, plus rigoureuses, d’un Joe Sacco ou d’un Guy Delisle. Mais qu’importe ! Oui, son personnage est naïf. Oui, sa feuille de route est hasardeuse et ses intentions énigmatiques, mais c’est justement tout ce qui fait le charme de la méthode. Ainsi, dès le début de Maison ronde-Radio France de fond en comble (Dargaud), quand il se dit «en mission», la poitrine gonflée et le regard volontaire, c’est pour mieux perdre, quelques secondes plus tard, son carnet de notes dans la Seine. Ce qui suit est du même tonneau.
Déjà à l’époque, Fluide glacial lui avait commandé quelques planches sur les coulisses du festival d’Angoulême, parmi ses pairs. Puis c’est à domicile qu’il poursuit l’idée, avec Dedans le Centre Pompidou-Metz (2018), où il profitait de son statut de libraire dans le tout nouveau musée pour mettre le doigt sur les travers du monde de l’art contemporain.
Ce coup-ci, c’est en terrain inconnu qu’il opère, avec une immersion d’une année (lancée en mars 2019) au cœur de Radio France, temple du journalisme, de la culture et de la musique, symbole agité du service public à la française et véritable ruche en mouvement perpétuel, avec ses quelque 4 000 fourmis ouvrières, ses sept chaînes de radio (dont France Inter, la plus connue), ses journalistes stars, ses anecdotes en pagaille.
Une vue d’ensemble intéressante
Comme il le dit lui-même, c’est à «l’instinct» qu’il s’incruste dans cette petite ville ouverte 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, «cette planète en rotation» qui a en effet de quoi donner le tournis : les couloirs y sont sans fin, les bureaux sont en permanence rénovés et les déménagements successifs tissent un lien entre le passé et le présent.
C’est d’ailleurs par le mythique studio 105 – qui a vu notamment passer l’émission Le Tribunal des flagrants délires – que débute la visite. Mais l’Histoire peut être taquine et, aujourd’hui, un épais mur bloquant l’entrée pour cause d’amiante étouffe les rires, désormais lointains, de Pierre Desproges et Luis Rego… Un peu par hasard, au gré des rencontres, des portes ouvertes et des petits-déjeuners café-croissant, mais également grâce à l’appui d’un fantôme, seul guide de cette avancée à l’aveuglette, Charlie Zanello en voit ainsi de toutes les couleurs.
Dans ce navire de l’information, tanguant sévèrement à l’ère des réseaux sociaux et des communicants, il dresse, avec beaucoup d’humour, une intéressante vue d’ensemble : un monde en effervescence avec ses vedettes de l’information, ses chroniqueurs et autres animateurs (dont on connaît plus les voix que l’apparence), ses incurables passionnés, ses jusqu’au-boutistes du son, sans oublier tous ceux qui font tourner la baraque – techniciens, attachés de production, musiciens, bruiteurs… (soit une centaine de métiers).
Une dernière partie plus « militante »
Au fil de ses aventureuses déambulations, on découvre, entre autres, le sous-sol et ses 14 abris antiatomiques, la préparation de la matinale de France Inter, l’orgue du splendide Auditorium, le fonctionnement du Centre distributeur des modulations (qui assure toutes les connexions de la Maison ronde), le ballet des politiques pressés aux discours rodés…
Et quand la pression des quatre murs se fait trop forte, l’auteur part en balade sur le Tour de France (avec France Inter), suit FIP en Alsace, s’offre une escapade avec l’équipe d’humoristes de Par Jupiter !, fouille dans les archives labyrinthiques de la discothèque de Radio France et passe même de l’autre côté du micro, interviewé par Antoine de Caunes.
Finalement, quand il revient sur place, c’est pour évoquer, dans une dernière partie plus «militante», les grèves, les suppressions de postes (alors que les chiffres de l’audience sont «historiques») et les nombreux emplois précaires. Tout cela ne pouvait finir qu’avec l’épidémie de Covid-19. Un départ soudain, surprenant, qui rappelle l’aléatoire de son approche initiale. En somme, la boucle est bouclée. Normal pour une Maison ronde.
Grégory Cimatti
Confidences de Charlie Zanello, auteur de Maison ronde
C’est « à l’instinct » que l’auteur s’incruste dans cette petite ville ouverte 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 «Vivre des expériences uniques!»
GENÈSE
«Suite à mon album sur Pompidou-Metz, mon éditrice m’a proposé cette idée d’une immersion chez Radio France. Ça m’a plu de suite, sachant que je suis très amateur de radio ! Cet ouvrage trouve donc ses origines à la fois dans un simple plaisir d’auditeur et grâce à cette possibilité de pouvoir entrer dans le temple de la radio publique française (…) Bon, il a fallu attendre plus de six mois pour avoir l’autorisation, mais une fois que j’avais mon badge « invité », toutes les portes se sont ouvertes. J’ai été très bien accueilli dans toutes les chaînes où j’ai traîné mes vieilles baskets !»
ANECDOTE
«J’ai été assez épaté de ma rencontre avec la bruiteuse à France Culture, peut-être parce que je ne m’étais jamais posé la question de comment tout ça fonctionnait… Voir dans une maison aussi moderne quelqu’un faire des enregistrements avec des bouts de ficelles et des morceaux de bois, ça surprend ! J’ai été bluffé par ce côté artisanal.»
BD REPORTAGE
«J’aime le principe, même si je ne focalise pas mon travail dessus… En même temps, je ne suis pas du genre à rester toute la journée derrière ma table, à dessiner comme un moine. Par la force des choses, j’apprécie de me rendre dans des lieux insolites et de voir ce qui va s’y passer. Bref, vivre des expériences uniques !»
RADIO FRANCE
«J’écoute plus Radio France aujourd’hui qu’avant (il rit). Jusqu’alors, j’écoutais la radio de manière ponctuelle, comme beaucoup de monde, dans la voiture, durant le petit-déjeuner… Maintenant, je vais plus fouiller dans les programmes, notamment musicaux. Quand je dessine, pour me mettre dans ma bulle, j’écoute plein de trucs très forts! Et si j’ai besoin, par exemple, de quelque chose de puissant, d’épique, direction France Musique !»
Recueilli par G. C.