Après Simone Veil. L’immortelle, le scénariste-dessinateur Pascal Bresson poursuit sa mission, son combat contre l’injustice. Ce qui l’a conduit tout naturellement vers Beate et Serge Klarsfeld, surnommés «le couple chasseur de nazis».
Avec le dessinateur Sylvain Dorange, Bresson signe Beate et Serge Klarsfeld. Un combat contre l’oubli, un roman graphique aussi impeccable que passionnant. Un livre sur le parcours des combattants, qui se savoure comme un roman d’aventures et un thriller. Un livre nécessaire et indispensable pour le devoir de mémoire.
Comment en vient-on à envisager puis réaliser un roman graphique consacré à Beate et Serge Klarsfeld ?
Pascal Bresson : Grâce à mon grand-père qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, a servi dans la 2e division blindée (2 DB) et participé à la libération de Paris, je suis féru d’histoire. Dans les années 1970-1980, j’étais ado et le couple Klarsfeld était très médiatisé. Plus tard, dès mes premiers albums de BD, j’ai travaillé sur les thèmes de l’injustice, du racisme. Après avoir achevé l’album Simone Veil. L’immortelle, il m’a semblé évident de rencontrer Beate et Serge Klarsfeld.
Vous les connaissiez déjà ?
Pas du tout. J’ai écrit à Serge Klarsfeld, lui faisant part de mon projet. Il m’a répondu. Nous nous sommes rencontrés à Paris… Je m’attendais à voir des superhéros. Quand je les ai vus pour la première fois, j’avais face à moi des gens tout simples. On a parlé de leurs animaux. De leurs chats, de leurs chiens…
Sur quel matériau avez-vous envisagé votre travail ?
Je voulais raconter leurs combats. Elle a traqué les nazis en Allemagne, et lui les nazis et les collabos en France. Ils ont été très complémentaires. Ils ont arrêté les pires monstres de guerre. Ce qu’ils ont évoqué dans Mémoires, le livre de près de 700 pages qu’ils ont publié en 2015. Ce livre, je l’ai lu et relu. Mais je ne voulais pas en faire une simple adaptation linéaire. J’ai donc séquencé et scénarisé leur histoire.
Pour vous, l’histoire commence véritablement en 1968…
Oui, très précisément le jeudi 7 novembre 1968 à Berlin, à l’occasion du 16e congrès de la CDU, le parti du chancelier Kurt Kiesinger qui fut un membre du parti nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce jour-là, Beate s’est dirigée vers la tribune du Palais des congrès et a giflé le chancelier. Depuis le procès de Nuremberg (NDLR: novembre 1945-octobre 1946) où ont été jugés 24 des principaux responsables du Troisième Reich, c’était la première fois qu’on s’en prenait physiquement au chancelier allemand. Ce fut un acte fort, c’est le début de Beate et Serge Klarsfeld. Un combat contre l’oubli.
Le couple Klarsfeld a-t-il travaillé avec vous durant le processus de création du livre ?
Pendant six mois, nous nous sommes vus deux, trois fois par mois. Beate et Serge se sont intéressés à l’avancement, leur fils Arno aussi. Mais ils ne sont à aucun moment intervenus. Une fois, Serge a juste demandé à Arno, voyant le dessin représentant sa femme : « Tu avais remarqué que ta mère avait le nez pointu ? »
Comment définiriez-vous ce couple ?
Un couple improbable. Au départ, c’est la rencontre à Paris d’une Allemande de 16 ans, fille au pair, et d’un étudiant juif dont le père avait été arrêté à Nice par le « monstre zélé » Aloïs Brunner puis déporté à Auschwitz. Au départ, issue d’une famille qui avait voté pour Hitler avant la guerre, Beate n’avait aucune notion sur l’histoire allemande. L’histoire de Hans et Sophie Scholl, ces frère et sœur exécutés pour avoir appelé à s’opposer aux nazis en place, a mis, si l’on peut dire, du charbon dans la locomotive en lui racontant ce que fut le nazisme.
Dès lors, tous deux deviendront le « couple chasseur de nazis »…
Ce sera le but de leur vie. Beate devient une femme d’action, elle voulait redorer l’image de son pays. Dès lors, ils vont former un couple franco-allemand qui se battra, jour et nuit, pour la justice et la vérité. Ils ne se sont jamais pris pour des superhéros même quand ils ont retrouvé la trace de Klaus Barbie, le « boucher de Lyon », exilé sous une fausse identité en Amérique du Sud, et le font juger en France en 1987…
Que retiendrez-vous de votre « voyage » avec Beate et Serge Klarsfeld ?
J’ai eu la chance immense de côtoyer deux personnes remarquables qui, toute leur vie, ont seulement voulu la justice. De ce qu’ils ont fait, ils n’en tirent aucune gloire. Ils se sont simplement battus, toujours pour la justice, pour faire punir ces monstres que furent les nazis. Les faire punir sans haine ni vengeance…
Entretien avec notre correspondant à Paris, Serge Bressan