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[BD] « Arrêt de jeu » : plongée réaliste et angoissante dans l’univers du foot pro


"Arrêt de jeu", la BD / polar à lire après la coupe du monde... (Illustration : Casterman).

Dans Arrêt de jeu, Matz (Le Tueur) s’intéresse non pas au sport, mais au business et aux affaires qui gravitent autour du monde du ballon rond.

Voilà près de 30 ans qu’Alexis Nolent, alias Matz, poursuit son chemin sans faute dans l’univers de la bande dessinée. Peines perdues, Shandy, un Anglais dans l’Empire, Du plomb dans la tête, Nuit de fureur, Le Dahlia noir, XIII Mystery : Felicity Brown, le récent Travailleur de la nuit, mais surtout sa série Le Tueur ont fait de lui un scénariste à succès, apprécié tant par les lecteurs que par les professionnels. Il faut dire qu’il a du talent à revendre, qu’il parvient à toucher des sujets profonds sans jamais s’appesantir, qu’il sait créer des personnages complexes, ni héros ni victimes, avec beaucoup de personnalité et toujours un certain côté obscur, et qu’il sait s’entourer de dessinateurs de talent qui parviennent à illustrer son univers fait à la fois d’ombre et de lumière.
Ainsi, après Le Travailleur de la nuit illustré par Léonard Chemineau, Compte à rebours mis en images par Giuseppe Liotti et Vies volées – Buenos Aires Place de Mai, réalisé avec Mayalen Goust, voilà que pour cet Arrêt de jeu, Matz fait confiance à Xavier Lemmens, alias Lem, dont c’est le tout premier album de BD.
Le résultat est un one shot de 90 pages de toute beauté. Un thriller très «matzien», avec un personnage calme et posé à l’extérieur, semblant même assez détaché du monde, mais en fait bouillant à l’intérieur. Un album à la voix off très présente et qui prend plusieurs fois le lecteur à contrepied.

Des jeunes gens qui font des envieux
Un récit pas tant sur le football que sur tout ce qui accompagne un joueur professionnel tout au long de sa carrière : la starification, les salaires mirobolants, mais aussi le besoin de garder la santé, d’un côté, et la tête sur les épaules, de l’autre. Des jeunes gens qui font des envieux et qui doivent donc savoir faire les bons choix et constamment faire attention à leur entourage.
Lucas est un chef pour tout ça. Père d’un petit enfant qu’il élève seul, il préfère éviter les filles qui se jettent à ses pieds, leur préférant une escort girl qui ne prétend à rien d’autre qu’à l’argent qu’elle récupère pour ses prestations. S’il se plie volontiers aux desiderata des sponsors, il ne se fait aucune illusion sur ce qui lui arriverait s’il venait à se blesser. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à un de ses meilleurs amis, Marc, jeune joueur aussi prometteur que Sega et lui, blessé à l’âge de 18 ans et qui par conséquent n’a jamais réussi à trouver un club et galère dans la vie.
Mais toute la prudence du monde n’empêchera pas Lucas de se retrouver, bien malgré lui, au milieu d’une triste affaire de corruption et de chantage mise en place par des proches du président de son propre club. Après tout, avec un match de perdu, en pariant comme il faut, on peut se faire des millions facilement. Et un match, alors que la qualification en Ligue des champions est déjà assurée, c’est finalement bien peu de chose, non? D’ailleurs, les exemples de matches et tournois aux résultats «étranges» ne manquent pas, et l’album nous en rappelle une longue liste.
Matz et Lem présentent alors le processus de déstabilisation du joueur, la communication négative, le bad buzz, les décisions arbitrales qui commencent à le pénaliser ouvertement, etc. Puis mettent le tout en lien avec les différentes affaires des instances du foot. Bref, tout le monde ou presque en prend pour son grade. Et si tout ceci est bien évidemment une fiction, l’ensemble est extrêmement bien documenté. Par conséquent, qu’on aime ou pas le foot, cet Arrêt de jeu est passionnant!

Pablo Chiementi

Arrêt de jeu, de Matz et Lem.
éd. Casterman.