Un papa, une maman…? Très peu pour le Suisse Nando Von Arb, qui raconte dans son premier roman graphique, résolument contemporain, son enfance dans une famille à… trois papas.
On imagine que pour un enfant, grandir entouré de trois pères différents pourrait donner lieu à une famille dysfonctionnelle et couveuse de conflits. Alors il faut oublier ce que l’on imagine et, comme Nando Von Arb, prendre et apprendre de ce qui nous est donné. Car dans ce dernier petit joyau des éditions Misma, à l’opposé complet des mésaventures trash de Megg, Mogg & Owl, la série phare tragicomique de l’éditeur français, on découvre au fil des près de 300 pages de 3 Papas le quotidien jamais ennuyeux du petit Nando, élevé par quatre adultes.
Né en 1992 à Zurich, l’auteur, dont c’est là le premier roman (autobio)graphique, présente donc ses trois figures paternelles imparfaites mais jamais absentes : le père biologique, d’abord, qui a quitté le nid familial alors que le petit Nando était encore bébé. Passionné d’art, il emmène Nando avec lui au musée, l’intéresse au dessin, à la peinture et à la sculpture. Puis il y a Kiko, un extravagant et jovial personnage, premier compagnon de sa mère et père de sa plus grande sœur : lui aime les farces, les imprévus, et jouer aux jeux vidéo avec Nando, qui le bat facilement. Enfin, Zélo, le compagnon actuel de la mère, est une sorte de roc, un colosse rassurant, serein et aimant.
La force du souvenir, le trait de la fantaisie
«Mes pères avaient délégué mon éducation à ma mère», écrit Nando Von Arb. Sa mère, elle, accorde une véritable confiance aux pères, sans véritablement connaître les relations que le petit Nando noue avec eux. Chacun des trois papas, d’ailleurs, aura une place déterminante dans la formation du caractère et de la personnalité de Nando et l’ont éduqué, eux aussi, à d’autres paramètres du complexe fonctionnement humain. 3 Papas se met à hauteur d’enfant et ne juge jamais les adultes sur leurs imperfections, ce qui n’empêche pas Nando de les percevoir et de les comprendre. C’est d’ailleurs là qu’il est difficile de s’y retrouver pour Nando car, malgré tout, chacun lui apporte une nuance différente du bonheur et lui, en retour, leur donne l’amour d’un fils.
Ce qui frappe, dans les saynètes de la vie quotidienne, tantôt anecdotiques, tantôt déterminantes, que Nando Von Arb relate, c’est le décalage sublime entre la vivacité du souvenir (et, par extension, la capacité d’analyse que lui infuse l’auteur et protagoniste) et la fantaisie du dessin. Car tout en étant un récit sur l’enfance, Von Arb dessine en adulte qui cherche à revenir à son essence, à savoir ses premiers gribouillis. Le souvenir et la fantaisie sont ainsi inextricablement liés, puisque l’auteur s’exprime dans des dessins complexes qui donnent l’illusion du dessin d’enfant : lui se représente (comme ses sœurs) en un minuscule bonhomme patate avec des bâtons à la place des bras et des jambes. Kiko et Zélo, eux, ont une apparence clairement humaine, tandis que dans les liens du sang, Nando Von Arb dessine, avec une bonne dose d’introspection, ses parents sous des traits animaux. Sa mère est une cigogne et son père… un animal hybride, entre bouc et cheval, avec une queue de castor.
Avec des couleurs et des dessins à l’opposé du réalisme, Nando Von Arb reconstitue les souvenirs d’une famille recomposée et dissèque en filigrane l’état d’esprit du jeune garçon qu’il était, sans jamais dévoiler explicitement ses pensées. Au contraire, l’auteur joue sur la mise en scène, fidèle ou déformée par le temps ou la réflexion, dans le but de donner à voir un portrait psychologique de cet enfant – lui – qui grandit dans une famille unique, avec ses richesses, ses moments de bonheur… et ses drames.
Valentin Maniglia
3 Papas, de Nando Von Arb. Misma éditions.