Depuis le 1er janvier, le terrifiant roman de George Orwell, 1984, est tombé dans le domaine public, ce qui n’a pas échappé aux éditeurs. Tour d’horizon.
Il est de ces œuvres qui, à la lumière de l’actualité, connaissent un nouveau succès. L’apparition de la pandémie, en mars dernier, a ainsi remis sur le devant de la scène La Peste d’Albert Camus, qui s’est arraché comme des petits pains dans les librairies en ligne. Il en est de même pour 1984 de George Orwell qui, à l’ère du confinement de masse, revient à la charge pour défendre un bien précieux : les libertés individuelles et collectives.
Mieux, le roman, ces dernières années, n’a jamais véritablement disparu des radars. Ainsi, chez lui, au Royaume-Uni, il a connu deux récents pics de vente : en 2013, après les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance étatique, puis en 2017 après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Même rebond outre-Atlantique quand une conseillère de ce dernier a utilisé l’expression «faits alternatifs» – terme employé dans 1984 – lui faisant une belle publicité et entraînant de nouvelles réimpressions de l’ouvrage.
Publié à Londres en juin 1949, sept mois avant la mort de son auteur, 1984 est donc bien plus qu’une dystopie. Certains y voient un miroir à peine déformant de notre époque, notamment à travers le développement des réseaux sociaux, par le biais desquels les gens se lâchent sans retenue (comme dans les «Deux minutes de la haine» du livre, rituel lors duquel la population est incitée à détester l’Ennemi du Peuple). Surveillance de masse, reconnaissance faciale et tout autre outil de contrôle moderne des populations contribuent à garder au roman toute sa fraîcheur et à lui faire une place de choix parmi les nouvelles fictions qui imaginent un avenir cauchemardesque (The Handmaid’s Tale, Black Mirror…).
Après sa parution, en octobre 2020, dans La Pléiade de Gallimard, 1984, tombé dans le domaine public ce 1er janvier, conserve toute sa clairvoyance à travers son appropriation par de nombreux auteurs de générations différentes et aux sensibilités artistiques hétérogènes. Parmi eux, on trouve Jean-Christophe Derrien (scénario) et Rémi Torregrossa (dessin), réunis par les éditions Soleil. Leur mission commune n’avait rien d’une évidence : condenser un livre dense en seulement 120 pages. Pas question, donc, pour eux, de se perdre en chemin.
C’est donc sur un rythme forcé qu’est ici traduit le roman d’Orwell. Une efficacité et un sens de la concision qui n’éludent pas les principaux points : Winston Smith (qui raconte son quotidien à la première personne), son journal intime, son amour caché avec Julia, la pénurie (notamment de lames de rasoir), la novlangue, sa rencontre avec O’Brien, son arrestation, sa «rééducation»… Sans oublier, en toile de fond, l’œil inquisiteur de «Big Brother» – dont le visage rappelle un peu celui de Donald Sutherland dans la trilogie Hunger Games. Et pour souligner l’effroi de ce monde, le duo use d’un noir et blanc glacial, seulement souligné ici et là par un peu de couleur, synonyme d’espoir et de liberté (des corps qui s’enlacent, un visage maquillé…).
Si cette version cherche à coller au plus près du livre, d’autres (bien plus étoffées, toutes autour de 230 pages) cherchent à s’en émanciper, sans trahir toutefois les propos et les thèmes : ainsi, celle de l’illustrateur brésilien Fido Nesti joue sur une atmosphère envoûtante et un dessin aux teintes fantastiques, jouissant de la traduction modernisée de Josée Kamoun. Une seconde, signée Xavier Coste, privilégie les décors modernes et un graphisme éblouissant, tandis qu’une dernière, avec un avatar de Joseph Staline (et sa belle moustache) en couverture, joue la carte de l’angoisse avec ses teintes glaciales. Le lecteur, lui, n’a que l’embarras du choix. Ce qui, avec 1984, n’est jamais de trop.
Grégory Cimatti
À lire
1984, de Jean-Christophe Derrien et Rémi Torregrossa. Soleil.
1984, de Fido Nesti. Grasset.
1984, de Xavier Coste. Sarbacane.
1984, de Sybille Titeux de la Croix et Ameziane Hammouche. Éditions du Rocher
1984, à l’ère du confinement de masse, revient à la charge pour défendre un bien précieux : les libertés individuelles et collectives
L’histoire
Londres, 1984. Winston Smith est un employé du Parti chargé de réviser l’Histoire. Dans un monde où toute sentimentalité est interdite, il est attiré par Julia, une femme peut-être dangereuse pour lui. Ensemble, ils vont tenter d’échapper à l’emprise du gouvernement et de Big Brother, le chef omnipotent du gouvernement. Mais est-ce possible dans un monde où tout fait et geste est surveillé et enregistré?