Accueil | Culture | [Livre] Baumgartner : le crépuscule d’une vie

[Livre] Baumgartner : le crépuscule d’une vie


Parmi les gens de lettres (mais pas que!), nombreux sont ceux qui sont sous le charme de cet Américain. (Photo : spencer ostrander)

Avec Baumgartner, Paul Auster déroule un roman d’élégance, de mémoire et de légèreté sur la vie de Sy Baumgartner. Une vie faîte de petits riens qui interrogent sur le temps qui passe.

Pour le grand romancier japonais Haruki Murakami, aucun doute : «Paul Auster est un génie !» Pour la comédienne et écrivaine française Irène Jacob, il est cet «homme qui marche de Giacometti. Sincère, droit et rassemblé». Parmi les gens de lettres (mais pas que!), nombreux sont ceux qui sont sous le charme de cet Américain, né le 3 février 1947 à Newark, New Jersey, romancier et aussi scénariste et réalisateur. Chacun de ses nouveaux livres est dans un événement. Cette fois encore avec Baumgartner.

L’éditeur français évoque «un roman traversé par les forces de l’amour et de la perte, étonnamment lumineux». D’autres y lisent un livre de mémoire, empli de douleur, y voient parfois des airs de parentèle avec un autre Américain, Philip Roth. La grande différence, toutefois : chez Auster, chez aucun des personnages, il ne peut se glisser la moindre once de perversité. Certes, tout n’est pas rose et enjoué dans le monde «austérien», mais il transpire de bonnes doses d’humanité, d’humanisme.

Paul Auster est un génie!

«Baumgartner est assis à son bureau dans la pièce du premier étage qu’il désigne parfois comme son bureau, son cogitorium ou son trou. Stylo en main, il est engagé à mi-chemin dans une phrase du troisième chapitre de sa monographie sur les pseudonymes de Kierkegaard», lit-on en ouverture. Sy Baumgartner, 71 ans, professeur de philosophie à Princeton (New Jersey), vit seul. Sa femme Anna est décédée, voilà dix ans. Il l’a aimée, il l’aime toujours…

Ce matin, il descend récupérer un livre, il s’est promis d’appeler sa sœur à 10 h. En entrant dans la cuisine, il est saisi par «une odeur âcre et pénétrante», s’approche de la cuisinière, voit la flamme d’un brûleur ronger le fond de la casserole qu’il avait utilisée, trois heures plus tôt, pour faire les trois œufs de son petit-déjeuner. Il éteint certes le brûleur mais se brûle la main. Qu’il passe sous l’eau, immédiatement, pour éviter toute cloque. Le téléphone sonne, c’est la compagnie d’électricité qui prévient qu’elle vient relever le compteur – l’employé a du retard, il voulait prévenir. Ça sonne à la porte, c’est la livreuse d’UPS, Molly, «qui au fil de ses visites fréquentes, a acquis le statut de… de quoi? Pas vraiment d’amie à proprement parler». C’est la vie, Sy… Rien de bouleversant, des petits riens.

Un livre de mémoire

Pourtant, de ces petits riens, Paul Auster – qu’un bougon critique pas sympathique accuse d’avoir perdu sa magie – déroule un roman d’élégance, de mémoire et de légèreté. De souvenirs, de pensées et d’accidents, aussi. Le temps passe, on sait tous comme Sy Baumgartner que le voyage se termine un jour.

N’empêche, au fil de la journée, les souvenirs s’invitent alors que l’un de ses genoux craque et le fait souffrir. Souvenirs du coup de foudre pour Anna, poétesse et traductrice, dont il range encore, dix ans après sa disparition, minutieusement les vêtements. De l’enfance. D’un voyage à Ivano-Frankivsk, à l’est de l’Ukraine, sur les pas de son père juif polonais. De ces tentatives d’être à nouveau amoureux – qui ont toutes échoué. Et puis, une jeune étudiante est annoncée, elle vient le visiter pour la rédaction de sa thèse sur Anna…

Alors, surgit la question : dans Baumgartner, où est le vrai, où est le faux? Depuis quelque temps, Paul Auster se bat à Cancerland (comme l’a indiqué sa femme Siri Hustvedt, écrivaine, poétesse et essayiste). En 2022, son fils et son bébé sont morts. Il écrit, évoquant ce membre fantôme après une amputation : «Il pense aux mères et pères vivant le deuil de leurs enfants défunts (…) et à la ressemblance entre leur souffrance et les effets consécutifs à une amputation (…) Vous allez découvrir que la partie de vous amputée, la partie fantôme, peut toujours être source d’une douleur profonde et sacrilège». Des bribes d’existences que l’auteur de Moon Palace ou encore 4 3 2 1 laisse transpirer à chaque page. Il suffit de décoder. Baumgartner, c’est le livre de mémoire. Et de l’existence qui reste.

Paul Auster, Baumgartner. Actes Sud