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« Battlefield » au Grand Théâtre : le jour d’après


"Battlefield" est un spectacle essentialiste durant lequel le spectateur écoute le silence, le temps et les quelques mots contés,et peut profiter de ce moment hors du temps et du monde pour prendre du recul. (photo DR/Caroline Moreau)

Trente ans après avoir bouleversé le monde du théâtre en présentant « Mahabharata » à Avignon, en 1985, Peter Brook et Marie-Hélène Estienne en présentent un extrait, « Battlefield », au Grand Théâtre.

La dernière création de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, Battlefield, pose ses valises au Grand Théâtre durant les trois prochains jours. Une œuvre qui offre au spectateur un regard sur le monde actuel à la fois juste et sensible, une formidable opportunité de prendre le temps de voir, d’écouter, de s’interroger, à partir d’un récit vieux de plus de 4 000 ans, pourtant si contemporain, tout droit venu d’Inde, le Mahabharata.

Épopée sanskrite de la mythologie hindoue, le Mahabharata est le plus grand poème jamais composé avec 81 936 strophes répartis en 18 livres. Parmi les fondateurs de l’hindouisme, le Mahabharata met en scène des faits mythico-historiques, contant les faits de guerre de deux branches d’une même famille royale.

Dix millions de morts

En 1985, Peter Brook a présenté pour la première fois à Avignon son spectacle du même nom, mettant en scène ce récit sacré, qui ne durait pas moins de neuf heures. Il a bouleversé les spectateurs, avertis ou non, mais aussi le monde du théâtre lui-même avec cette proposition.

C’est 30 ans plus tard, en 2015, qu’il a choisi de reprendre ce texte, enfin tout au plus un extrait de celui-ci, pour en refaire une nouvelle proposition. «Marie-Hélène Estienne et Peter Brook ont eu envie de revenir sur ce texte antique qui raconte l’humanité vue par elle-même dans un contexte contemporain qui voit le monde en proie aux guerres, au terrorisme, à la perte de soi. Ils ont eu envie de raconter de nouveau cette histoire dans laquelle il est question du devenir de l’humanité, du dépassement de soi et de son acceptation», explique Carole Karemera, actrice de la pièce.

De la grande épopée, les deux metteurs en scène ont choisi un livre, un chapitre pourrait-on dire, celui qui se déroule après la bataille, après la grande guerre qui a coûté la vie à beaucoup dans chaque camp, on y parle de dix millions de morts, un chiffre absolument terrifiant pour cette période de l’histoire qui n’est pas sans rappeler les conflits contemporains et toujours actuels, telle la tristement célèbre Syrie.

«Dans ce livre, il est question de l’après-conflit, de l’accompagnement des plus faibles, de la prise de conscience que tout le monde est finalement semblable à soi. On y réfléchit également ensemble sur comment surmonter cette meurtrissure, comment la traverser, la mettre en mots, comment s’arrêter et réfléchir. On apporte une petite dose d’espoir», ajoute la comédienne.

Prendre le temps de s’interroger

Battlefield a déjà été joué lors de plus de 100 représentations à travers le monde, chaque étape apporte une pierre à ce grand édifice que Peter Brook et Marie-Hélène Estienne sont en train de construire, en prenant en compte chaque spécificité, chaque commentaire et chaque remarque que leur donnent les spectateurs, pour réécrire à chaque étape cette histoire millénaire.

Peter Brook a toujours été convaincu que le théâtre peut avoir son rôle à jouer dans l’éveil des populations, en comblant les lacunes des hommes politiques dont les discours se sont éloignés des considérations réelles. Battlefield est un spectacle essentialiste durant lequel le spectateur écoute le silence, le temps et les quelques mots contés, et peut profiter de ce moment hors du temps et du monde pour prendre le recul nécessaire qui lui permettra d’avoir un nouveau regard sur ce monde parfois étrange et souvent angoissant dans lequel nous vivons.

De notre collaboratrice Mylène Carrière

Grand Théâtre – Luxembourg. Jeudi soir, vendredi et samedi à 20h.

À noter pour les passionnés du Mahabharata que le chorégraphe Akram Khan proposera sa version de ce poème sacré dans son spectacle Until the Lions, également au Grand Théâtre de Luxembourg, vendredi et samedi de la semaine prochaine.