Imaginé pour tous, par tous et avec tous, le Bâtiment4 ouvre ses portes ce week-end à Esch-sur-Alzette. Un laboratoire culturel et social qui compte penser le monde de demain ou, du moins, proposer de nouvelles alternatives. Visite guidée.
À l’instar de la chanson San Francisco de Maxime Le Forestier, le Bâtiment4 est un peu comme la «maison bleue» : on y vient à pied et pour y entrer, pas besoin de clé ! Bon, c’est vrai, on est loin des années 70, des tambourins, des odeurs d’encens et des fleurs dans les cheveux, mais à leur manière, ses occupants, présents et à venir, comptent offrir de nouvelles perspectives en ce qui concerne le vivre-ensemble et l’acte créatif qui en découle. D’ailleurs, dans l’une des grandes salles de l’établissement, cinq mots s’étalent en gros sur le mur, résonnant tel un mantra : «art», «solidarité», «participation», «inclusion» et «écoresponsabilité». Ça donne le ton. La suite est du même acabit.
Mercredi, lors d’une visite organisée en préambule de l’ouverture au public ce week-end, tout le monde était convié dans une sorte de cercle de discussion, car ici, aucune voix ne domine les autres. «Ce n’est pas nous qui décidons de tout !», confie-t-on du côté du CELL (Centre for Ecological Learning Luxembourg), l’un des quatre membres du collectif dit des «bâtisseurs» – en compagnie des ensembles artistiques ILL et Richtung22 ainsi que Hariko, service de la Croix Rouge. On apprend aussi, au gré des orateurs, que le projet s’est concrétisé fin 2019, date depuis laquelle chaque association fondatrice, qui «ne se connaissait pas» au préalable, avance main dans la main, étant – c’est préférable – «sur la même longueur d’onde».
Un espace créatif singulier et nécessaire
Tous les vendredis, cette joyeuse fourmilière cherche à se construire une «base solide», qui se concrétise aujourd’hui sous la forme d’une charte s’articulant autour de différents mots et expressions : «intercoopération», «innovation sociale», «partage», «participation citoyenne», «transmission», «démocratie culturelle» ou encore «expérimentation». Et ce, dans le but, c’est écrit noir sur blanc, de «dessiner une société plus ouverte et solidaire», le tout, bien sûr, dans une ouverture écologique et résiliente. «C’est une nouvelle façon de penser la création à un niveau local», précise Anne Braun (Hariko), plus terre à terre. «Oui, c’est quelque chose d’assez singulier à l’échelle du Luxembourg!»
Une originalité qui s’observe sur le fond comme sur la forme. Le Bâtiment4 est en effet à voir comme un laboratoire un peu foutraque, bienveillant et pluridisciplinaire, où chacun (association, particulier, artiste amateur et professionnel) peut se faire une place, de manière plus ou moins longue, à condition d’avoir un projet qui correspond aux «valeurs édictées» par le collectif (aussi peu palpable soit-il) et de respecter le règlement intérieur, qui interdit par exemple de «dormir sur place». Pour le reste, c’est libre, et cette aisance a apparemment du bon. Grégoire Rossitto, en sa qualité de «facilitateur culturel», lâche : «Cet espace créatif répond à un besoin fort à Esch. Rien qu’avec le bouche-à-oreille, les demandes sont déjà nombreuses!»
Trois étages et plus de 50 salles
Ce dernier n’est toutefois en rien inquiet, et on le comprend au vu de la capacité du lieu. Imaginez tout de même : 3 000 m2 à l’intérieur (600 à l’extérieur), courant sur trois étages et plus de 50 salles, avec, en prime, un sous-sol qui sera attaqué «en janvier» et un grenier qui ne demande qu’à être exploré. Une imposante bâtisse encore dans un désordre certain, mais qui affiche fièrement son potentiel, aux orientations multiples : musique, danse, exposition, résidences, ateliers, bureaux en mode «coworking» (qui n’attendent que le wifi), bibliothèque, espaces de stockage, cuisines… Il ne reste finalement qu’une chose : «À s’y mettre !», lâche Grégoire Rossitto, impatient de faire visiter l’endroit au public.
Bien sûr, dans n’importe quelle utopie – ou tiers-lieu culturel, comme ici défini – les finances ramènent malheureusement vite les rêves au sol. D’ailleurs, la Ville d’Esch-sur-Alzette, partenaire à travers l’association frEsch (qui prend en charge les frais de fonctionnement et le salaire de cinq employés), a déjà mis 600 000 euros de sa poche pour les travaux et la mise en conformité des lieux. À cela s’ajoute le soutien d’importance de l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte (à hauteur de 200 000 euros annuels, pour tout ce qui est d’ordre artistique, jusqu’en mars 2023). Sans oublier, enfin, Esch 2022 (qui concrétisera sur place une douzaine de projets) et ArcelorMittal, qui met gracieusement son ancienne maison à la disposition des nouveaux occupants – oui, d’un géant mondial de l’acier à des militants alternatifs, il n’y a qu’un pas!
Mais quid de l’avenir, sans la dynamique espérée de la capitale européenne de la culture ni les divers appuis pécuniaires? «On recherche déjà d’autres financements. Il faudra également, à l’avenir, développer nos propres recettes», explique Grégoire Rossitto, pour le coup pragmatique. En tout cas, il a déjà le sens de la formule. «On est tous en construction. On va apprendre en marchant!» Une avancée qui se fera collectivement, comme l’affirme, dans la foulée, Anne Braun. «Les associations existaient bien avant le Bâtiment4. On a notre réseau, notre public… Cela crée des échanges, de l’énergie.»
Un endroit symbolique, entre passé et futur
D’ailleurs, la localisation de l’édifice, aux portes des friches d’Esch-Schifflange, dans le domaine du Schlassgoard, a tout du symbole. Avant d’être laissé quasi à l’abandon en 2011, il a été une école d’infirmière, le centre administratif de l’Arbed, un lycée technique… De quoi alors espérer une renaissance tout aussi «active» et «attractive». «C’était un lieu lié à la production industrielle qui, aujourd’hui, se tourne vers la connaissance et la culture. Il n’est plus un outil de travail mais de création. D’une certaine façon, il s’adapte à l’évolution de la société», synthétise Grégoire Rossitto.
Situé à une centaine de mètres de la Kulturfabrik et de la Facilitec (NDLR : incubateur pour les projets alternatifs), le Bâtiment4 a des voisins à la hauteur de ses ambitions et, selon Anne Braun, il offre un souffle à l’écart de la ville – «un refuge qui permet de se retirer et d’être dans un endroit authentique». Au-delà d’un idéalisme pur, il faudra sûrement que le collectif puisse asseoir ses projections sans chef ni contraintes structurelles, ce qui n’a rien d’impossible, à condition de se donner du temps (au-delà des convictions). Le Bâtiment4 en dispose-t-il? Telle est la question. Un «défi» qui, sur place, s’apparente plutôt à une «opportunité». L’important, oui, c’est déjà d’essayer, et qui sait, comme le disait Maxime Le Forestier, cette maison sera peut-être la dernière «à rester debout».
Grégory Cimatti
Bâtiment4 – Esch-sur-Alzette.
Week-end d’ouverture avec concerts, poèmes, ateliers, jeu de rôles…
Samedi à partir de 11 h et dimanche dès 10 h.