Le réalisateur mexicain Alejandro González Iñárritu sort Bardo, un hommage intime à son pays, mêlé de visions oniriques. Aujourd’hui dans les salles luxembourgeoises et le 16 décembre sur Netflix.
Longuement applaudi lors de sa projection à la dernière Mostra de Venise, Bardo raconte avec des images éblouissantes le départ de Silverio (Daniel Giménez Cacho), un journaliste et documentariste mexicain parti vivre sa vie à Los Angeles, qui doit aller retirer un prix dans son pays d’origine. «Ce film a été fait comme un miroir. C’est la réinterprétation émotionnelle d’une mémoire», avait confié le réalisateur, Alejandro González Iñárritu, 59 ans, en conférence de presse à Venise.
Vingt-deux ans après Amores perros, son premier long métrage, Iñárritu fait son retour dans son pays, justement pour raconter l’absence, ce que signifie le fait de partir et d’être un émigré de luxe. «Le Mexique est un lieu mental pour moi, chaque pays est un lieu mental», poursuit le cinéaste. Sous-titré False Chronicle of a Handful of Truths («fausse chronique d’une poignée de vérités»), le film fait écho à l’œuvre semi-autobiographique d’un autre cinéaste mexicain renommé, Alfonso Cuarón. Son Roma – déjà distribué par Netflix – avait également été en compétition à la Mostra en 2018, où il avait remporté sa récompense suprême, le Lion d’or.
Et, comme Roma, Bardo est distribué dans certaines salles à travers le monde – comme aujourd’hui au Luxembourg – un mois avant sa sortie sur la plateforme de streaming, une «stratégie pensée pour que le film laisse son empreinte de la façon la plus large possible», explique Scott Stuber, le directeur général du département Films internationaux chez Netflix. «Alejandro est un cinéaste contemporain majeur et l’un des plus grands visionnaires dans notre industrie», ajoute-t-il.
Ce film, à la différence des autres, je ne l’ai pas fait avec la tête, mais avec le cœur
Dans Bardo, le voyage du journaliste sert de prétexte à Iñárritu pour immerger le spectateur dans ses souvenirs, ses hantises, le passé comme le présent, avec sa violence, ses discriminations, ses féminicides. Avec des scènes oniriques, entre rêve et réalité, cette comédie métaphysique invite à entrer dans le labyrinthe de la mémoire avec, dès le début du film, le retour dans le ventre de sa mère d’un enfant qui ne souhaite pas vivre dans ce monde. Le titre est une double référence, d’une part, au mot espagnol pour «barde» et d’autre part, et surtout, au concept bouddhiste de «bardo», soit les limbes entre la mort et la renaissance.
«Il ne s’agit pas d’un film autobiographique», a précisé Iñárritu. «C’est une histoire sans histoire (…) Sa construction a été très différente de tout ce que j’ai fait précédemment», a-t-il encore affirmé de cette œuvre de près de trois heures, qui rend aussi hommage aux grands noms du cinéma qui l’ont inspiré : Luis Buñuel, Federico Fellini, Alejandro Jodorowsky ou Roy Andersson.
Et si Iñárritu a salué, à Venise, la «générosité» de Netflix quant à une distribution en salles, il rappelle l’importance de la télévision dans sa propre découverte des grands auteurs : «Bergman, Buñuel, Fellini… J’ai vu tous leurs films à la télé, en VHS et avec une qualité épouvantable. Si je devais aller aux toilettes, j’arrêtais le film (…) Ce qui reste, au final, ce sont nos idées. Un film est un film. C’est juste un moyen. Une cathédrale pour le cinéma.»
Le cinéaste a présenté Bardo à Venise 21 ans jour pour jour après l’exil de sa famille à Los Angeles. À l’origine, il s’agissait d’un départ «pour un an». «Ce film, à la différence des autres, je ne l’ai pas fait avec la tête, mais avec le cœur», a ajouté Iñárritu, qui n’avait plus réalisé depuis sept ans et The Revenant, pour lequel il avait reçu en 2016, un an après Birdman, son deuxième Oscar du meilleur réalisateur. Le réalisateur mexicain a passé cinq de ces sept années à élaborer Bardo, qu’il considère comme son film le plus difficile, au point de confier au magazine Vanity Fair : «Je ne sais pas si je ferai un autre film, pour être honnête (…) Il faudra que ce soit quelque chose qui ait vraiment du sens. Et je ne sais pas quand cela arrivera.»
Bardo : False Chronicle of a Handful of Truths, d’Alejandro González Iñárritu.