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[Bande dessinnée] Gone with the Wind : Scarlett O’Hara se refait une beauté


(Photo : rue de sèvres)

Après le roman et le film, célébrés comme critiqués, Pierre Alary donne sa version de Gone with the Wind. Portée par son héroïne sans foi ni loi au cœur d’un monde à réinventer, l’œuvre a d’étranges résonances modernes.

Pierre Alary est un homme de challenges, surtout quand il s’agit de se frotter à des livres-monstres ayant marqué leur temps, à l’aura toujours intacte. À son actif, ainsi, le Moby-Dick de Herman Melville (1851), adapté pour les éditions Soleil avec Olivier Jouvray. Mais ici, il s’est attaqué à un plus gros poisson encore : Gone with the Wind, vu comme l’une des plus grandes œuvres romanesques du XXe siècle. Publié en 1936, prix Pulitzer l’année suivante, le seul et épais récit (1 400 pages) de Margaret Mitchell a connu un succès immédiat – aujourd’hui, il s’en est vendu plus de 30 millions d’exemplaires dans le monde. Que dire alors du film, légende en Technicolor qui a épuisé quatre réalisateurs (finalement attribué à Victor Fleming), remporté huit Oscars et immortalisé le baiser entre Clark Gable et Vivien Leigh.

Place donc au roman graphique, avec un premier tome sorti en 2023, et le second en ce début d’année. Deux beaux objets sertis de lettres d’or, comme pour appuyer le poids de l’héritage. Sur les quelque 300 pages au total, le casting, lui, n’a évidemment pas changé : au centre, l’éternelle Scarlett O’Hara, jeune héroïne âgée de 16 ans et riche héritière d’une importante plantation de coton à Tara (Géorgie). On est en 1861, et son rêve d’épouser Ashley Wilkes va se confronter à une violente réalité : celle de la guerre de Sécession entre le Sud confédéré et le Nord des «Yankees». Dans son sillage, c’est tout un monde qui va s’effondrer et tenter, tant bien que mal, de se reconstruire. Entre l’ancien et le nouveau, ses terres et celles d’adoption à Atlanta, elle va rencontrer un homme à la réputation sulfureuse : Rhett Butler. Entre les deux s’engage alors un duel de séduction, au cœur des heures les plus sombres des États-Unis…

Derrière la romance, la ronde des sentiments et son côté fleur bleue, Gone with the Wind n’est pas si innocent que ça, surtout à l’heure où la lecture des œuvres d’antan est passée au filtre de la modernité. Ainsi, dans la foulée des mouvements antiracistes aux États-Unis, la plateforme de streaming HBO Max a retiré le film de son catalogue en 2020, tandis que l’éditeur anglo-saxon Pan Macmillan proposait une nouvelle mouture face à l’ancienne, dès lors «problématique». Et pour cause : Margaret Mitchell, outre les stéréotypes qu’elle entretient, défend das son livre l’idéologie selon laquelle les États du Sud auraient combattu pour leur indépendance politique menacée par ceux du Nord, jaloux de leur mode de vie, et non pour la sauvegarde du système esclavagiste.

Après tout, demain est un autre jour

Une vision «soft», taxée de révisionniste par certains historiens, que Pierre Alary relaye à petites doses, notamment quand Mammy, la servante de Scarlett O’Hara, lance à des affranchis : «Vous êtes libres de quoi? D’être inutiles?». Mais au-delà de ce racisme que l’on pourrait qualifier de paternaliste, l’auteur insiste surtout sur la transformation de la jeune héroïne, menée au rythme de son caractère déterminé, inscrit dans ses yeux enjôleurs et caché derrière un visage «trompeusement délicat». Entre ses élans du cœur, les horreurs de la guerre et la montée du Ku Klux Klan, elle est en effet prête à tout pour s’en sortir. Sa combativité, sa débrouillardise, son indépendance d’esprit et son audace font horreur aux autres femmes et peur à beaucoup d’hommes. Doublement veuve et mère (peu épanouie) de trois enfants, elle refuse, dans cet «enfer» sur Terre, d’être dans le camp des faibles.

Margaret Mitchell écrivait à ce propos : «Ils puisaient leur courage dans le passé. Elle puisait le sien dans l’avenir». «Après tout, demain est un autre jour», est d’ailleurs, dans un symbole clair, la phrase qui ponctue l’histoire. Avant d’en arriver là, Pierre Alary démontre tout son talent, aussi bien dans l’illustration que dans la narration. Son dessin, aux couleurs vives et aux traits expressifs, apporte à Gone with the Wind un vent de renouveau. Verbeux, le texte, lui, n’oublie pas de souligner la saveur des échanges (pour ne pas dire joutes) entre Scarlett O’Hara et Rhett Butler. Mieux : un siècle et demi avant Donald Trump et Elon Musk, cette histoire, qui célèbre le triomphe de l’argent sur la morale, reste d’une pertinence sans faille.

Gone with the Wind (2 tomes), de Pierre Alary.
Rue de Sèvres.

L’histoire

Scarlett O’Hara, jeune fille d’une riche famille d’Atlanta au sud des États-Unis, connaît une vie douce et confortable. Lorsque la guerre de Sécession débute en 1861, ses repères s’écroulent, et de lourdes responsabilités s’imposent à elle. Au milieu de la destruction et de la mort, elle rêve pourtant d’amour : celui pour Ashley Wilkes, pourtant promis à une autre, et qu’elle porte secrètement depuis toujours. L’arrivée de Rhett Butler, homme sans foi ni loi, aussi immoral que séduisant, rebattra de nouveau les cartes dont la jeune fille dispose pour atteindre le bonheur…

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