Dans Après la rafle, Joseph Weismann, aujourd’hui 90 ans, raconte comment, enfant, il a franchi une forêt de barbelés pour échapper à la Shoah. Un livre-témoignage bouleversant.
C’était un gavroche, né à Paris en 1931 d’un couple d’immigrés juifs polonais, avec ses deux sœurs, vivant dans le quartier de Montmartre. C’est aujourd’hui un retraité qui, dans sa maison du Mans, tient une forme époustouflante, en coupant du bois, en marchant des kilomètres chaque jour. Entre les deux, la rafle du Vél’d’Hiv’, en juillet 1942, où toute sa famille est emmenée. Il est le seul à avoir échappé à l’extermination…
Transféré au camp de Beaune-la-Rolande, à 85 kilomètres au sud de la capitale, le petit Joseph y est séparé des siens et s’évadera en prenant des risques inouïs. Cette vie a été racontée en livre (Après la rafle, 2011), puis dans un film qui prend quelques libertés avec son histoire, mais dans lequel il joue le rôle d’un vieil homme (La Rafle, 2010). Maintenant c’est en BD que son histoire se raconte avec Après la rafle (édition Les Arènes).
Autant dire que sa guerre ne s’est jamais vraiment achevée. Car depuis, Joseph Weismann, 90 ans aujourd’hui, participe à des conférences, des colloques, des débats et autres films. Et il témoigne, encore et encore… «Il faut raconter la Shoah, parce qu’il y a des gens qui n’en ont jamais entendu parler. Le temps passe… Certes, on a laissé beaucoup de témoignages, films, livres, entretiens… Mais si on ne combat pas l’antisémitisme, la mémoire de la Shoah va disparaître», dit-il.
Pour cet ouvrage, le dessin de Laurent Bidot et le scénario d’Arnaud Delalande ajoutent, selon lui, un réalisme très saisissant. Notamment cette évasion, douloureuse, interminable, au cœur d’un labyrinthe de quinze mètres de barbelés inextricable, détricotés à mains nues durant six heures. «Il fallait se frayer un chemin avec nos petites mains. Ce fouillis, ces rouleaux entremêlés, c’est vraiment impénétrable! C’est infernal!», se souvient ce survivant de la Shoah. «On pissait le sang, des mains, du crâne, j’en ai encore des cicatrices. Ce côté inextricable, il faut le voir!», estime-t-il.
Comment lui-même, à onze ans, a pris la décision folle de tenter de sortir de ce camp, il ne le comprend pas complètement. «Je regarde ce gosse et je me dis : « comment a-t-il eu l’idée de s’évader? » C’était ridicule, c’était infaisable.» «Je sais que j’aimais beaucoup la liberté, que j’avais très mal pris le fait qu’on vienne nous arrêter alors qu’on n’avait rien fait, qu’on nous enferme au Vél’d’Hiv’, qu’on nous mette dans ce foutu train… et on nous enferme encore dans un camp. Marre! Il fallait qu’on s’en aille», raconte-t-il.
Car cette évasion, il ne l’a pas faite seul. Il avait trouvé un autre Joseph prêt à tenter le coup, Jo Kogan. «On était chétif. Ça faisait déjà deux ans que sous l’Occupation on n’avait rien à manger.» Aujourd’hui décédé, cet autre esprit rebelle revit dans Après la rafle, en même temps que l’histoire des enfants du Vél’d’Hiv’. Car il est bien question ici de devoir de mémoire. Joseph Weismann, devenu père, puis grand-père, a ainsi passé de longues années à témoigner de sa survie devant des collégiens et lycéens, toujours «étonné de l’intérêt de ces jeunes. Sans s’en rendre compte, ils transposent.»
Dans ce sens, Après la rafle a le sens du détail. Ça commence par une symbolique étoile jaune imposée sur les vêtements, puis le livre suit au plus près, jour par jour, voire heure par heure, les faits glaçants d’une terrible réalité : la rafle, la déportation, la séparation, l’évasion, les errances angoissées au sein de familles d’accueil… L’album a d’ailleurs reçu le soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Nul doute qu’il soit appelé à devenir un support efficace de transmission du souvenir de cette sombre page de l’histoire.
Ce que croit Joseph Weismann : «Pendant la Seconde Guerre mondiale, on a assassiné six millions de juifs. Et dans ces six millions, un million d’enfants. Est-ce que vous pouvez vous imaginer un million d’enfants qui passent devant vous? C’est impossible. C’est pour ça que je mène ce combat. Parce que je suis resté enfant et que je ne peux pas comprendre qu’on fasse ça à des enfants.»
Après la rafle,
d’Arnaud Delalande
et Laurent Bidot.
Les Arènes.
Marre! Il fallait qu’on s’en aille
L’histoire
Le 16 juillet 1942, les autorités de Vichy procèdent à une rafle de familles juives parisiennes. Joseph et les siens sont conduits au Vélodrome d’Hiver, puis en wagons à bestiaux jusque dans le camp de transit de Beaune-la-Rolande. Transit… Vers où ? Un matin, on arrache à Jo ses parents et ses deux sœurs, qui sont déportés à Auschwitz. À Beaune-la-Rolande, une autre guerre a commencé : celle d’un enfant de 11 ans perdu dans un camp d’orphelins…