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[Bande dessinée] T’Zée : une histoire tragique de l’Afrique


(Photo : dargaud)

En se basant sur Phèdre de Racine et le règne despotique de Mobutu au Zaïre, Appollo et Brüno concoctent, en cinq actes, une fresque crépusculaire sur la fin d’un dictateur africain et de son clan familial. Superbe.

T’Zée, dans son uniforme militaire chargé de médailles, pourrait représenter n’importe quel dictateur. Des «tyrans universels», comme le précise Dargaud, il n’en manque malheureusement pas, et l’Afrique ne fait pas figure d’exception. Citons ainsi Idi Amin Dada (Ouganda), Omar Bongo (Gabon), Robert Mugabe (Zimbabwe) ou Teodoro Obiang (Guinée équatoriale). Des noms qui ramènent à des souvenirs amers et des pratiques communes : l’exercice d’un pouvoir à sens unique, une immoralité et mégalomanie confondantes, et un détournement systématique des richesses à leur profit. Sans oublier, dans l’ombre, la complicité des démocraties occidentales et ex-colonies, toujours promptes à tirer les ficelles de ce jeu lugubre.

Pourtant, si cette «tragédie africaine» se passe dans un pays sans nom, appuyant cette idée de totalitarisme universel, la référence reste évidente. D’ailleurs, Appollo ne s’en cache pas : l’auteur, qui a vécu et enseigné en République démocratique du Congo, précise en fin d’ouvrage être tombé amoureux de ce «pays-continent» pour différentes raisons : la rumba, le combat de légende entre Ali et Foreman, et ses lectures (Conrad, Gide, Césaire…). Il assène même, définitif : «Kinshasa est la ville la plus incroyable du monde!». Une passion qui prend ici une tournure plus sombre, avec ce clin d’œil au Zaïre période Mobutu (1971-97). Soit un regard partagé entre respect et intransigeance, comme l’a déjà fait par le passé Lieve Joris dans son roman Danse du léopard.

Les allusions au général «félin» et son sourire carnassier, symbole de la grandeur et du déclin du «géant d’Afrique central» qui marqua «la fin du XXe siècle», sont manifestes : T’Zée porte aussi la toque en peau de bête, l’attribut des rois, et ne quitte jamais ses lunettes noires. Et quand il construit un palais à sa gloire et à sa démesure, il le fait au cœur de la jungle, loin de l’agitation populaire (Mobutu baptisa le sien Gbadolite, nom très proche de celui de l’ouvrage, Gbado). Autour de ce régime corrompu qui ne tient plus qu’à un fil, les évènements résonnent avec familiarité, inspirés de l’histoire moderne : guerre civile, rebelles, militaires, villages en révolte, enfants armés, maladies (paludisme, dysenterie), pillages, politiciens véreux, arrestation des opposants (syndicats, journalistes), réfugiés, génocide…

C’est en effet le crépuscule d’un pays imaginaire que racontent Appollo et Brüno – que l’on retrouve ensemble après Biotope (2007) et la série Commando colonial (trois tomes entre 2008 et 2010). Une apocalypse politique comme l’affirme un des personnages du livre : «Ici, tout le monde joue un rôle, un dernier rôle…». Au-delà des faits historiques et de la sévérité du sujet, le tandem s’offre un peu de légèreté : d’abord grâce à un dessin virtuose. Ensuite à travers une ambiance mystique – faite de sorciers, d’esprits et de fétiches – et d’autres particularités locales (la sape, le catch).

Si T’Zée doit beaucoup à la littérature africaine francophone, il se tourne vers un autre modèle pour donner une ampleur romanesque à ses intentions : le classique Phèdre de Racine (1677), pièce en cinq actes inspirée de la mythologie grecque, qui met en scène l’histoire d’amour que l’épouse d’un roi éprouve à l’égard du fils de ce dernier. Dans ce trident infernal, la passion y est féroce et le destin cruel. Ces figures «à l’orgueil démesuré qui tombent et qui entraînent avec deux des nations et des peuples, c’est l’ancienne tragédie grecque», soutient Appollo en conclusion, avant d’oser : «Tous les personnages de Racine sont zaïrois!». Et la tragédie, elle, se répète. Inlassablement.

T’Zée, d’Appollo & Brüno.
Dargaud. 

Tous les personnages de Racine sont zaïrois!

L’histoire

Au fond de la forêt équatoriale, dans le palais de T’Zée, la rumeur enfle. Le vieux dictateur aurait été tué. Alors que le pays s’enfonce dans le chaos d’une guerre civile, les membres du clan présidentiel vivent les derniers moments d’un régime corrompu qui disparaît. Le destin d’Hippolyte, fils de T’Zée, croise une ultime fois celui de Bobbi, la jeune épouse du dictateur porté disparu : se révèle alors un amour impossible et monstrueux…

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