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[Bande dessinée] «Tsunami», un ouragan de sentiments


Destinée aussi bien aux adultes qu’aux lecteurs plus jeunes, la BD ne retient pas ses coups lorsqu’elle aborde la question des violences verbales, physiques ou morales. (Photo : pow pow)

Tsunami évoque l’adolescence comme une vague menaçante prête à tout emporter sur son passage. Un drame psychologique au trait simple mais à l’étude de mœurs complexe.

L’histoire

Parfois, vaut mieux se taire que d’avoir raison. L’entêtement de Peter à toujours dire la vérité fait de lui la cible favorite des durs de l’école. Même la nouvelle – une fille cool qui semble vouloir devenir son amie – ne peut rien contre Gus et sa bande. Trop occupés à se chicaner sans cesse, les parents de Peter ne se rendent pas compte de ce qui se passe dans la vie de leur fils et, insidieusement, il se retrouve aspiré par une vague de fond.

La figure de l’adolescent, longtemps absente dans la BD jusque dans les années 1990 – les héros étaient alors soit enfants, soit adultes – est depuis devenue un lieu commun. Mis à part quelques exceptions notables, dont Mon ami Dahmer (Derf Backderf, 2012), une évocation de l’amitié, sur les bancs du collège, entre l’auteur et celui qui allait devenir un célèbre tueur en série, ou les aventures sanglantes du super-héros Kick-Ass (Mark Millar et John Romita Jr., 2008-2014), les bandes dessinées traitant de l’adolescence s’attachent surtout à poser un regard réaliste sur cette période de mal-être et de transformations profondes, d’Agrippine (Claire Bretécher, 1998-2009) aux Cahiers d’Esther (Riad Sattouf, 2016-2024), en passant par Black Hole (Charles Burns, 1995-2005) et Ghost World (Daniel Clowes, 1997).

Avec Tsunami (à paraître vendredi chez l’éditeur québécois Pow Pow), Ned Wenlock rejoint les brillantes œuvres citées ci-dessus, conviant à la fois la narration spontanée des unes et les thématiques sombres des autres. Le héros, Peter, a 12 ans et est la victime de choix de Gus et de sa bande. Incapable de mentir, et n’ayant pas tout à fait maîtrisé, du fait de son âge, les mécaniques du monde qui l’entoure, Peter lâche des remarques qui font l’effet d’une bombe auprès de son institutrice, des petits durs et de ses parents. Ces derniers, trop occupés à tenter de dissimuler leur crise conjugale devant leur fils, ne se rendent compte de rien : ni des brutalités qu’il subit à l’école, ni de l’amitié qu’il tisse avec Charlie, la nouvelle de la classe, auprès de qui Peter trouve l’assurance qui lui manquait. Au point, peut-être, d’en abuser.

Si tu parles, je te mets dans une boîte!

Dans ce premier roman graphique, il n’y a pas de tsunami à proprement parler, mais les tranches de vie qui se succèdent sur près de 300 pages avancent assurément comme une vague de plus en plus haute et menaçante, bien décidée à tout dévaster lorsqu’elle finira par s’abattre. Grâce à un formidable trio de personnages – Peter, Charlie et Gus –, l’auteur s’abstient de tout manichéisme pour faire un récit de la vie ordinaire, avec ses doses de cruauté, de tristesse, d’altruisme, d’indifférence ou d’incompréhension.

Destinée aussi bien aux adultes qu’aux lecteurs plus jeunes, la BD ne retient pas ses coups lorsqu’elle aborde la question des violences verbales, physiques ou morales. Mais, aidé par une économie de mots (les dialogues sont directs, concis, et certaines scènes sont presque entièrement muettes, à l’instar d’un avant-dernier acte saisissant) et une belle maîtrise de l’art de l’ellipse et du non-dit, Ned Wenlock s’appuie sur le réalisme des situations pour en tirer une représentation touchante, voire poétique.

Une tragédie inéluctable

À mesure qu’on s’engouffre dans cette histoire douloureuse, on entre aussi dans la vie déstabilisée de Charlie – qui, comme l’auteur au même âge, a quitté son Angleterre natale pour la Nouvelle-Zélande – qui essaie de tromper l’ennui de son quotidien, et dans celle de Gus, qui doit composer avec un père le plus souvent absent, et qu’il essaie désespérément d’impressionner. Les pièces du puzzle s’imbriquent, le tableau s’agrandit et l’image qu’il révèle montre une tragédie inéluctable.

Si Ned Wenlock raconte son histoire sur des planches découpées en douze cases carrées, à la manière des «comic strips» (avec lesquels il partage la simplicité du trait), c’est pour mieux en faire ressortir le sentiment d’isolement que ressentent ces trois jeunes personnes. Les décors sont invariablement intérieurs (les paysages urbains ou naturels, toujours vidés de la présence humaine, sont à trouver en début et fin de chapitres), et le format graphique contribue à emprisonner les protagonistes dans leur propre idée du monde.

Les personnages, tous identiques à l’exception des coiffures et des vêtements (Wenlock dit s’être inspiré des figurines Lego et des arts céramiques mexicains), expriment à leur tour la dimension universelle et intemporelle de ce drame psychologique. Et ça fonctionne terriblement bien.

Tsunami, de Ned Wenlock. Pow Pow.