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[Bande dessinée] Tedward, la classe américaine 


Sur plus de 150 pages, qui débutent par une rupture et se finissent derrière les barreaux d’une prison, Josh Pettinger déroule son trait net et faussement innocent. (Photo : ici même éditions)

Victime de sa morale et de son style démodé, incapable de suivre les codes de la société actuelle, Tedward n’a pas son pareil pour se mettre dans des situations grotesques. Voici le nouvel antihéros de l’Amérique, imaginé par Josh Pettinger.

L’histoire

Tedward est un jeune homme qui vit chez sa mère et lui prête main-forte à la ferme où elle cultive la rhubarbe. Pétri de principes passés de mode, il cherche sa place, des amis et l’amour dans un monde dont il ne comprend ni les codes, ni les valeurs. Qu’à cela ne tienne, il en faudra davantage pour abattre notre sémillant personnage…

Dans le petit monde de la BD underground américaine, malgré la variété d’approches, il y a un sujet qui revient souvent sur la table et sur les planches : la solitude et l’introspection face à un monde déshumanisé qui marche à côté de ses pompes. Une tradition qui s’accompagne d’auteurs (et d’œuvres) majeurs. En premier lieu, la série Eightball de Daniel Clowes (1989-2004), considérée par Chris Ware, autre référence du genre, comme le plus grand comic de la fin du XXe siècle. À cela s’ajoutent, pêle-mêle, la saga Love and Rockets des frères Hernandez, l’œuvre complète de Chester Brown (dont Vingt-trois prostituées, 2012) ou celle de Simon Hanselmann, la plus trash d’entre toutes avec son trio infréquentable (Megg, Mogg & Owl). Il faut désormais ajouter à cette liste non exhaustive le nom de Josh Pettinger.

De lui, en Europe, on ne savait que peu de chose : une naissance sur l’île de Wight, caillou sur la Manche «abritant trois des plus grandes prisons du Royaume-Uni», avant un départ vers les États-Unis, à Chicago, puis à Philadelphie. Entre les deux, une longue chronique qui va s’écrire sur neuf années (2014-2023) et s’appellera Goiter (soit «perdant solitaire» en argot américain).

Toute une galerie de losers

Le début de la consécration pour l’auteur sans âge, puisque la critique s’en réjouit («cinq bonnes et une pas trop mauvaise»). Mieux : Robert Crumb, grand pape du comic indépendant, va s’en délecter, tandis que le festival d’Angoulême va retenir dans sa sélection officielle de 2024 l’ouvrage, dans lequel on découvre alors des personnages kafkaïens, écrasés par le poids de leur propre destin.

On y croise notamment un catcheur en fin de course aux mœurs contestables, un employé (ou esclave, c’est selon) d’Amazon, un ventriloque accusé de meurtre ou des femmes pompiers au caractère bien trempé. Toute une galerie de losers peinant à trouver leur place dans un monde pas taillé pour eux, incapable de satisfaire leurs attentes et leurs désirs, si tant est qu’ils en aient. Aujourd’hui, Josh Pettinger a trouvé une figure qui symbolise bien ce mélange de naïveté, d’inaptitude et de malchance : Tedward. «Vous cherchez un nouveau héros auquel vous attacher, voire vous identifier? Vous l’avez trouvé», peut-on lire sur le site d’Ici même, qui édite le livre en français trois mois seulement après une sortie outre-Atlantique chez Fantagraphics.

Je suis un gars à l’ancienne!

Sous sa brosse «classique» mais «sensationnelle», le jeune homme est un «gars à l’ancienne», comme il le reconnaît. Fils à maman, il l’aide dans son jardin à cultiver la rhubarbe. Autrement, il voue une passion pour les dioramas en papier mâché, chevauche un scooter des années 1980, collectionne les poupées «racistes» et s’éclate au parc d’attractions Magic Mountain quand il ne se détend pas avec un bon lait chaud.

Tête de mule au cœur d’or, il a le don de se mettre dans des situations impossibles, amoureuses comme professionnelles, en raison d’une confiance aveugle : il se voit ainsi contraint de passer au jet d’eau les participants d’orgies, de dénoncer sa petite amie qui fraude la redevance télé ou d’en trouver une nouvelle sur Tinder (elle porte malheureusement une «jupe en cuir»). Au bout, toujours le même échec et ce sentiment de poisse qui colle à la peau, laissant le lecteur aussi irrité qu’amusé.

Décrire l’anxiété sociale

Sur plus de 150 pages, qui débutent par une rupture et se finissent derrière les barreaux d’une prison, Josh Pettinger déroule son trait net et faussement innocent. Il rappelle au passage que sa collaboration avec Simon Hanselmann ne s’arrête pas à Werewolf Jones & Sons (sorti en avril) en lui laissant le soin de dessiner une histoire complète. Ça ne change rien à l’intention de départ : décrire, à travers les agissements d’un antihéros, ce que l’on appellerait l’anxiété sociale.

Bien sûr, il y a ce monde extérieur, jamais bien intentionné avec ses escrocs et ses bizarreries, qui peut être terrifiant quand on en est trop détaché. Mais ce serait réducteur de dire que Tedward n’est jamais responsable de sa propre descente aux enfers, par son entêtement et ses tentations. C’est ce qui le rend aussi attachant que détestable. Même sa conscience semble hésiter à en rire ou à en pleurer.

Tedward, de Josh Pettinger. Ici même Éditions.

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