Quentin Zuttion affronte ses angoisses existentielles et son anxiété autodestructrice pour mieux les exorciser. Une mise à nu cathartique, vertigineuse et bouleversante, au cœur de la santé mentale.
En 2024, avec Impénétrable, Le Lombard proposait un témoignage sur les méandres du désir féminin et les troubles de la sexualité. Un exercice autobiographique courageux à travers lequel son auteure, Alix Garin, évoquait ses douleurs et la nécessité de les dépasser pour se reconstruire. Un an plus tard, l’éditeur récidive avec Sage, de Quentin Zuttion, où l’on retrouve cette intention d’exorciser les démons par l’écriture pour réapprendre à vivre. «J’étais un objet de mes angoisses, mais avec ce livre, j’ai inversé la tendance : ce sont mes angoisses qui sont devenues un objet», explique ce dernier. Les similitudes entre les deux ouvrages sont nombreuses : même mise à nu sans détour, même cheminement cathartique et, surtout, une même volonté de raconter ces tourments de l’intérieur, afin d’en garder le «caractère brut» et l’«instantanéité».
Reste une différence notable : avec Quentin Zuttion, remarqué pour ses précédents livres aux sujets intimes surmontés d’un «voile» de fiction (Touchées, La Dame blanche, Toutes les princesses meurent après minuit, Salon de beauté), ces troubles prennent la forme de spectres bleutés. «Les crises d’angoisse, c’est tout à fait abstrait, relate-t-il. Ce sont des sensations qui sont un enfer à vivre, mais aussi à décrire et à expliquer.» Il va donc symboliser ses peurs et ses anxiétés par des créatures inquiétantes, silhouettes fantomatiques qui se multiplient et ne le quittent plus. Ce sont elles qui le plombent, le lestent au sol et l’empêchent de prendre un verre avec ses amis, d’organiser un rendez-vous amoureux ou de prendre le train pour se rendre à un repas de famille. Il a 33 ans, et voilà des jours qu’il est cloîtré dans son petit appartement sans arriver à en sortir. Figé.
J’étais un objet de mes angoisses, mais en écrivant, ce sont mes angoisses qui sont devenues un objet
Oui, il «déraille» et, au fil des jours, son mal-être grandit. Les détails insignifiants du quotidien (comme actionner la poignée de la porte d’entrée pour sortir) sont devenus des montagnes infranchissables. Les craintes se sont alors transformées en angoisses paralysantes et tout ce qui l’entoure «semble parasité par un danger» qui n’a pas de nom. L’alcool et le sexe virtuel calment temporairement son état, mais ça ne suffit pas. Il est temps d’affronter «ces symptômes, ces pensées» pour «recoller les morceaux». «J’avais indubitablement des choses à régler avec moi-même, ma famille et la société entière», lâche-t-il avec du recul. Sage en est le résultat, écrit alors qu’il était «dans l’œil du cyclone», «au cœur de la crise». Un livre-thérapie – on le voit parfois en pleine discussion avec sa psychologue – qui remonte aux sources de ses traumas.
Ceux-ci, bien que difficiles à définir, trouvent une appellation (TAG, pour trouble anxieux généralisé) et une racine : l’homosexualité. Celle d’un enfant «sage» différent des autres, choyé par sa mère et distancé du père. Celle d’un adolescent en proie aux brimades de ses camarades et aux discours stéréotypés au sein de sa propre famille. Celle d’un jeune adulte qui craint son propre désir, dégoûté par sa condition, marqué par une rupture et cherchant le réconfort dans l’âpreté des applications de rencontre. Au gré des flashbacks (réalisés dans un trait délavé aux contours flous, comme pour mieux souligner la porosité des souvenirs, surtout ceux que l’on cherche à oublier) et d’un quotidien à l’univers bleuté lumineux, Quentin Zuttion prend de la distance sur son cas pour en faire une affaire générale.
Rappelons que cette année la santé mentale a été déclarée «cause nationale» en France et qu’aujourd’hui il est encore difficile de vivre et de s’émanciper en tant qu’homosexuel. «Je veux parler à tous ceux qui ont enfoui leurs désirs si loin qu’ils ont construit par-dessus des barrières de honte qui pourrissent», conclut l’auteur qui avoue, après cet exercice narratif et graphique de haute volée, «aller mieux». Gageons que, dans son sillage, d’autres «petits garçons sages retire(ront) leur masque, cesse(ront) de se battre contre eux-mêmes et s’autorise(ront) à grandir».
Sage, de Quentin Zuttion.
Le Lombard.
L’histoire
À la fenêtre de sa chambre, Quentin observe la créature inquiétante qui le toise depuis dehors. L’angoisse monte et ne repartira pas de sitôt… En explorant ses souvenirs de jeunesse, il va tenter de comprendre comment l’anxiété s’est installée dans son quotidien et pourquoi elle l’empêche de vivre normalement. Le corps entravé par la culpabilité, il sera question de chercher ses propres désirs, loin de ceux que la société impose. Mais également de montrer le chemin d’un jeune homosexuel d’aujourd’hui, avec ses blessures, ses peurs et ses aspirations.