Ces derniers temps, une pléthore d’ouvrages, plus ou moins classiques et réussis, se réapproprient le mythe du far west. Parmi ceux-ci, certains en détournent les codes masculins, plaçant les femmes au cœur du récit, comme dans Hippolyte. Découverte.
Elles manient le flingue sans aucune hésitation ni scrupule, fomentent des attaques de diligences et vivent entre elles, sans la moindre trace de mâles qui, avec ces cowgirls sans foi ni loi, sont quasiment déjà morts… Hippolyte, one-shot de Clotilde Bruneau, est donc un western qui, à l’instar de la série Godless sur Netflix, met la femme au centre du récit, brisant dans l’œuf les habituelles représentations du ténébreux solitaire, seul contre tous sur son fidèle destrier.
Il y a d’abord ce titre, évocateur, ramenant au nom mythologique de la reine des Amazones. Celui, dans l’ouvrage, d’une petite ville fantôme située au fin fond de l’Arizona, absente des radars, dans laquelle s’épanouissent, tant bien que mal, 27 âmes qui, comme dans toute collectivité digne de ce nom, s’agitent aux rythmes des tâches et des braquages grand format. En somme, vivons heureuses, vivons cachées !
Mais voilà, on sent une tempête se préparer : il y a d’abord la présence de ce beau brun, annonçant par télégraphe qu’il a trouvé ce qu’il cherchait. Un espion, vite capturé, mais dont on ignore qui est son commanditaire. Il y a aussi le retour de Brooke, ancienne membre du gang aux intentions mystérieuses, qui trouve en la jeune Augustina un esprit malléable à manipuler.
«Poor lonesome cowboy»
Enfin, la planque de ces pétroleuses est menacée par l’afflux d’aventuriers en quête d’or, apparemment en abondance dans la région – rappelons-le, on est en 1872. Même le maire de Goldy Town, qui travaille en sous-main pour la bande, commence à remettre en question ce soutien. Évidemment, sur ces terres arides où les colts se dégainent facilement, cela risque de se terminer sous les balles, les explosions et les cadavres. Oui, à Hippolyte, on meurt debout, d’accord, mais jeune.
Oui, avec cette histoire, on est plus proche de Sam Peckinpah que de John Ford. Et si Clotilde Bruneau a choisi de mettre en avant ce collectif au féminin, les interactions sont sensiblement identiques que chez les hommes : la hiérarchie est omniprésente (même si les décisions sont prises à la majorité), les coups de gueule sont nombreux et les inimitiés apparentes. Saluons néanmoins ce choix de se focaliser sur ces desperados en quête d’un idéal commun, d’un Eldorado, renvoyant aux questionnements actuels sur la place des femmes dans la société.
Mieux, Hippolyte tient la cadence avec un récit bien mené, à l’intrigue ficelée et aux rebondissements nombreux. Dans le lot, n’oublions pas le travail de Carole Chaland au dessin, témoignant avec brio de son expérience d’illustratrice et d’animatrice, notamment dans le domaine des jeux vidéo. Bref, un excellent western, intelligent, maîtrisé et avec tous les codes inhérents au genre, mais qui fait fi des conventions et ferait passer le macho mal rasé et en cuir pour un ringard. Que le «poor lonesome cowboy» se méfie : les Amazones ne sont jamais loin.
Grégory Cimatti
Hippolyte, de Clotilde Bruneau et Carole Chaland. Vents d’Ouest.