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[Bande dessinée] Mussolini, dernier acte


Chapuzet s’appuie sur le travail de deux références en la matière, Emilio Gentile et Pierre Milza, n’omettant dans ce récit non linéaire aucune date clé du fascisme. (Photo : glénat)

Après l’affaire Dreyfus et l’assassinat de François-Ferdinand d’Autriche, Chapuzet et Girard racontent les derniers jours de Benito Mussolini dans un roman graphique terrible et dense.

L’histoire

Fuyant la résistance italienne comme les forces alliées, Mussolini et sa maîtresse, Clara Petacci, tentent de rejoindre la Suisse en compagnie de quelques fidèles du régime. Cette fuite désespérée, prendra fin une soirée d’avril 1945, sous une pluie fine, en Lombardie : Mussolini démasqué est finalement arrêté, déguisé, planqué et fusillé le lendemain matin sur les berges de ce lac d’une beauté rare. Cette dernière sortie pathético-romanesque, d’une violence inouïe, est à l’image de la trajectoire de celui qui inventa le fascisme.

L’horreur appelle l’horreur. La dernière photo prise de Benito Mussolini après sa mort, le 28 avril 1945, témoigne autant du sentiment de vengeance des partisans italiens que d’un geste de libération pour le peuple, à qui le cadavre du tyran fut jeté en pâture puis pendu par les pieds sur l’auvent de la station-service du piazzale Loreto, au centre de Milan – là où, moins d’un an plus tôt, 15 partisans antifascistes avaient été fusillés, leurs corps sans vie exposés à la vue de tous. Caractérisé par son aspect tant choquant que rédempteur, le cliché, qui présente le dictateur défiguré, pendu aux côtés de sa maîtresse, Claretta Petacci, et d’une quinzaine de dirigeants fascistes, ne révèle pourtant rien sur les circonstances de sa capture et de sa mort. Ce sont ces ultimes heures – en réalité, les trois derniers jours – qui tissent le fil rouge de La Dernière Nuit de Mussolini.

La troisième collaboration entre l’historien et scénariste Jean-Charles Chapuzet et le dessinateur Christophe Girard, après L’Affaire Zola (2019) et Le Matin de Sarajevo (2022), résulte en un roman graphique compact, thématiquement dense et qui multiplie intelligemment les échos à notre époque. Car les auteurs, loin de se limiter à retracer les derniers moments de la vie de Mussolini, cherchent dans le récit de sa fuite grotesque et de son arrestation soudaine les portes d’entrée à une biographie du Duce aussi complète que possible (en moins de 130 pages seulement). Du seul point de vue narratif, il s’agit moins d’un protagoniste qui voit défiler sa vie devant ses yeux que la mise en abyme d’un règne de violence au moment où celui-ci est moribond.

Violence sans fard

Pour la leçon d’histoire, Chapuzet s’appuie sur le travail de deux références en la matière, Emilio Gentile et Pierre Milza, n’omettant dans ce récit non linéaire aucune date clé du fascisme, de la marche sur Rome, en octobre 1922, qui facilite à Mussolini son coup d’État, jusqu’à la chute du régime en 1943 et la création, sous l’influence d’Hitler, de la République fantoche de Salò, au bord du lac de Garde, en passant par l’assassinat, en 1924, du député socialiste Matteotti – de loin le crime politique le plus important de l’ère fasciste.

Plus intéressant encore, c’est dans le portrait de l’homme que La Dernière Nuit de Mussolini se fait entièrement pertinent. Dans son rapport aux femmes, d’abord, entre les maîtresses qu’il a collectionnées toute sa vie et sa soif bestiale de sexe qui n’est étanchée que dans la cruauté. «La foule, comme les femmes, est faite pour être violée», pense-t-il, au moment de sa prise de pouvoir; confronté, dans les derniers instants de sa vie, à ce même comportement brutal et malsain, il se lamente : «J’ai surtout perdu ma principale maîtresse. La foule… la masse… mon peuple.» Lui, l’éternel traître – député socialiste ayant fait scission pour fonder son parti d’extrême droite, responsable de l’internement d’une de ses maîtresses et de leur enfant illégitime… –, est à son tour abandonné par la nation, mais aussi par son principal allié, Hitler (l’élève ayant dépassé son maître et faisant de Mussolini son pantin), ainsi que par ses plus proches conseillers des dernières heures du régime.

Me voici arrivé à la dernière phase de ma vie, à l’ultime page de mon livre

Plus qu’à une biographie strictement historique, le livre de Chapuzet et Girard se rapproche de M (2018-2024), roman monumental en quatre tomes d’Antonio Scurati qui fait le récit intime de la vie du dictateur – donc, une vraie leçon d’antifascisme. À la différence que Scurati clôt son histoire en 1943, à la chute du régime fasciste. La Dernière Nuit de Mussolini en serait donc un complément, avec en plus le dessin comme argument majeur. Pas seulement parce que la violence y est montrée sans fard (dont l’exécution de Mussolini), dans des scènes parfois extrêmes (les actes sexuels deviennent un hommage diabolique du dessinateur à l’âge d’or de la BD érotique italienne).

L’image du dictateur vêtu en soldat allemand, le visage recouvert de bandelettes telle une momie, appuie le caractère pathétique de sa fuite avortée. Alternant entre les tons gris pour les derniers jours du dictateur et les couleurs vives pour les flash-back, Christophe Girard fait ressembler le «mort-vivant» Mussolini, joues creusées et longs bras ballants, au vampire Nosferatu, tandis que sa version plus jeune, au faîte de sa gloire, souvent nu, hilare et la calvitie encore naissante, a plus à voir avec un certain Silvio Berlusconi. Car, au-delà de la double réussite de la narration et du dessin, les auteurs distillent jusqu’à la fin la portée pédagogique de leur livre : celle de prévenir que la mort du monstre, toute cathartique qu’elle fût, n’a malheureusement jamais fait disparaître ses idées.

La Dernière Nuit de Mussolini, de Jean-Charles Chapuzet (scénario) et Christophe Girard (dessin). Glénat.