Dav Guedin renoue avec ses origines paysannes à travers les souvenirs d’un petit «Parigot» orphelin, confié à sa famille durant la Seconde Guerre mondiale. Un carnet de vie de haute tenue et d’actualité.
Dav Guedin apprécie le geste autobiographique, goût observé dès les premiers méfaits réalisés avec son frère Gnot, résolument trash, tordus et sombres (à l’instar du diptyque Mémoires de bâtards et de la série en trois tomes Les Frères Guedin). Un enthousiasme qu’il va poursuivre, plus léger, en solo, notamment avec le superbe Down with the Kids (2018), qui raconte son expérience d’animateur pour enfants «difficiles», dans une aquarelle qui détonne par rapport à son habituel trait noir anthracite. Histoire de rester dans le ton et les histoires de famille, c’est sa mère qui lui dégote aujourd’hui des idées. Déjà chez Actes Sud, il y a eu ainsi Une vie d’huissier (2021), consacré à un lointain cousin après son suicide quelques années avant et des confidences laissées par écrit.
Il remet ça avec ce nouveau récit qui prend racine dans la ferme familiale en Normandie, à Tourouvre pour être exact, village dont le nom à fait l’objet d’un «gag viral» durant le confinement. Un lieu et un milieu rural dont, confie-t-il, il ne s’est jamais senti proche, en dehors de l’affection inconditionnelle qu’il portait à sa grand-mère, sa «chérie d’amour». Comme il le raconte en début d’ouvrage, un concours de circonstances va l’amener à renouer avec ses origines paysannes : la visite impromptue d’un certain Jacques, 90 ans, véritable «phénomène», qui raconte à sa mère «avoir été recueilli» dans la bâtisse pendant la guerre. Après un apéro et des échanges de «06», l’homme confie avoir écrit ses souvenirs de cette période. Dav Guedin s’en empare. Moisson 44 se lance.
Béret sur la tête et regard plein de malice, Jacques, onze ans à la fin 1943, est un «Titi» parisien orphelin, futé et hâbleur. Il est le plus souvent livré à lui-même et vit de trafics dans une capitale sous occupation allemande. Dans le ciel, les bombes pleuvent toutes les nuits, notamment celles américaines qui pilonnent les industries réquisitionnées par les «Boches» à Levallois ou encore à Courbevoie. Inquiet pour lui, son oncle décide alors de l’envoyer vivre dans une ferme normande, comme tant d’autres enfants réfugiés de ce temps. Accompagné de sa grande sœur, le garçon, débrouillard, s’y fait une place rapidement. Il y découvre une vie faite de rudesse et de solidarité, au milieu de ces femmes et de ces hommes aux vies modestes qui ont traversé deux guerres. Jusqu’au 6 juin 1944 où une canonnade ininterrompue réveille toute la ferme. C’est le débarquement…
J’ai eu à cœur de faire ressurgir une époque que je n’ai pas connue
Dav Guedin le reconnaît : il a été «complètement emporté» par la lecture des mémoires de Jacques, motivé à revenir sur le passé de sa famille et raconter ainsi «l’Occupation, la vie à la campagne, la résistance, la libération…». Un témoignage d’époque à travers le «regard de ce petit citadin» qui, mêlant la petite et la grande histoire, parle du labeur à la ferme (d’avant la mécanisation), de ces femmes de caractère qui gèrent les affaires courantes, de ces grandes tablées où l’on y mange à sa faim, de ces chemins «creux» que l’on emprunte pour éviter les patrouilles, des copains d’école avec lesquels on chahute et l’on bosse (certificat d’études oblige), tout en interprétant Le Chant des partisans. Sans oublier les atrocités perpétrées par les SS qui, sentant le vent de la déroute, se replient en brûlant et massacrant tout sur leur passage.
Sans la rigueur d’un historien ou d’un sociologue, l’auteur montre toutefois ce qu’il sait faire de mieux : se mettre à hauteur de l’humain. Il déroule ainsi un carnet de vie attachant, sans chronologie mais plein d’amour et de bienveillance, alors que depuis quelques jours, les célébrations du 80e anniversaire du débarquement en Normandie vont bon train. À la lecture, on reconnaît vite sa patte punk, caractérisée par un dessin léché et énergique, charbonneux à souhait, qui ramène au roman-photo et à l’âge d’or des magazines de faits divers – dont Angelo Di Marco (1927-2016), l’un de ses inspirateurs, fut le maître incontesté. Un bel hommage, libre et singulier dans le fond comme la forme, à tous ces gens simples et généreux dont les témoignages se font aujourd’hui de plus en plus rares.
Moisson 44,
de Dav Guedin.
Actes Sud.
L’histoire
Jacques, onze ans, est un petit Parisien livré à lui-même pendant l’Occupation allemande. Entre la disette et les bombardements, il flirte avec la petite délinquance. Sa grande sœur lui trouve alors un refuge dans une ferme en Normandie. Débrouillard, il s’intègre vite dans sa famille d’accueil et apprécie cette vie faite de labeur et de bonne entente, où l’on mange mieux qu’en ville. Le 6 juin 1944, c’est le débarquement…