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[Bande dessinée] Miles et Juliette, un mariage parfait entre image, texte et musique


Miles Davis et Juliette Gréco ont vécu, en 1949, une romance aussi courte que passionné. (Photo : D.R.)

Salva Rubio et Sagar unissent leurs forces dans Miles et Juliette. Un titre on ne peut plus simple. Deux prénoms balancés là. Les passionnés de jazz comprendront le lien avec Davis et Gréco, l’Américain et la Française qui ont vécu une courte mais passionnante relation amoureuse en 1949. Splendide!

Quand le scénariste du Photographe de Mauthausen (Le Lombard) et le dessinateur du Syndrome de Stendhal (Glénat) se réunissent, le résultat donne une explosion aussi bien narrative que graphique hors du commun. Il n’en fallait pas moins pour raconter et illustrer l’incroyable histoire qui, en 1949, réunit, à Paris, le génial trompettiste de jazz américain, Miles Davis, et la chanteuse et comédienne française, figure incontournable du Saint-Germain-des-Prés, Juliette Gréco.

Miles Davis est reconnu comme un des trompettistes de jazz les plus marquants du XXe siècle. Père du «cool jazz» avec son style caractérisé par une grande sensibilité et une incroyable fragilité dans le son, il est au départ de nombreuses évolutions dans le jazz et reconnu pour avoir su s’entourer d’autres grands musiciens.

Né à Alton, dans l’Illinois dans une famille aisée, il s’installe dès la majorité à New York. C’est là, en avril 1949, que débute le récit de Salva Rubio et Sagar. «Qui s’intéresse à ce qui se passe en ce moment à Madrid, à Shanghai, à Vancouver, à Oslo ou à Cape Town» peut-on lire dans le premier phylactère de la première page.

On est dans la 52e rue, à Manhattan dans le district de Broadway. Un homme marche seul de nuit. Un étui à la main. Les textes sont en fait ses pensées. «Tout ce qui doit se passer se passe ici/ Tout ce qui doit avoir lieu a lieu dans cette ville/ Cette ville vomit de l’histoire vive sous nos yeux. Cette ville crie à la face du monde le son du futur.» «Well, this is here and now. This is New York/ This is jazz motherfuckers».

Monk, Roy Eldridge, Coleman Hawkins, Art Tatum… étaient en tête d’affiche tout récemment encore. Mais désormais «de nouveaux cats apportaient un jazz nouveau» lit-on : Dizzy Gillespie, Max Roach, Charlie «Bird» Parker ont depuis pris la relève et le bebop est devenu la norme. À 22 ans, Miles est encore un side man, reconnu pour son sérieux et sa virtuosité. Mais déjà, il cherchait «son» son. Reconnu dans son milieu, il souffrait néanmoins de la ségrégation raciale toujours en place dans son pays.

Paris «un paradis» où «tout le monde se fout qu’on soit noirs»
Alors, après s’être fait refouler d’un restaurant new-yorkais à cause de sa couleur de peau, malgré des enregistrements prévus chez lui, il décide de finalement accepter l’invitation du festival international de Jazz de Paris. En France, il est accueilli en superstar. Il découvrira un «paradis», où «tout le monde se fout qu’on soit noirs».

Il fera la connaissance de tout le milieu culturel germanopratin : Vian, Sartre, Camus, de Beauvoir, Beckett, Duras… et surtout de Juliette Gréco. C’est le coup de foudre. Artistique, elle le compare à un Giacometti, il aime l’entendre réciter des poèmes, mais surtout amoureux. Elle est audacieuse, pressée, passionnée. Elle n’est pas mariée pour ne pas «être une femme soumise», et elle ne voit pas de problème au fait que Miles ait une épouse. Elle dit ne pas aimer les hommes, «mais toi tu me plais» ajoutera-t-elle le soir de leur rencontre.

Une semaine pour une passion

Ils auront ensuite une semaine pour vivre leur passion. Il dit vouloir rester à Paris, mais devra repartir, elle dit vouloir le suivre aux États-Unis, mais une femme noire avec un homme blanc, à ce moment-là, c’est inconcevable. Une semaine intense faite de nuits courtes, de plaisirs charnels, de musique, de débats, de rencontres.

Une semaine pour changer le monde, qui bouleversera quelques vies et le jazz. Une semaine que Salva Rubio et Sagar narrent merveilleusement, en s’offrant quelques libertés scénaristiques bien sûr, mais en se basant autant que possible sur des témoignages réels. Une semaine mise en images de manière expressionniste, avec cette musique qui explose littéralement des instruments, ces traits noirs marqués, ces couleurs sombres et de-ci de-là ces personnages reproduits à plusieurs reprises dans une même case, pour représenter le mouvement.

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Un album merveilleux proposé par des passionnés de musique, et de Miles Davis, mais qui n’a rien d’une hiérophanie. L’homme y est certes loué, décrit comme un génie de la musique et un gentleman, mais présenté également avec ses doutes, ses ratés, ses travers.

Un album complété par un dossier historique court mais pertinent, une bibliographie pour approfondir le sujet, mais aussi une setlist «proposée par les auteurs» de 64 titres de jazz pour accompagner chacune des planches de ce Miles et Juliette. Une superbe initiative pour réunir image, texte et musique.

Pablo Chimienti

Miles et Juliette, de Salva Rubio et Sagar. Delcourt.