Dans une favela brésilienne, Márcia fait du mieux qu’elle peut pour vivre et sortir sa fille des embrouilles… Un récit haut en couleur et fort en gueule qui confirme Marcello Quintanilha comme l’un des grands auteurs d’Amérique latine.
Avec ses formes généreuses et son caractère bien trempé, elle irradie, prend toute la place. Márcia est comme ça, dévorant la vie avec appétit, trimballant une indéfectible bonne humeur. Un personnage haut en couleur qui, pour les amis de son quartier, ses collègues, ses patients, a toujours une attention, introduisant souvent ses phrases par des «ma belle», «mon ange», «ma chérie»…
Avec sa façon d’occuper l’espace, elle passe difficilement inaperçue. Tonique et robuste, où qu’elle se rende, Márcia laisse une trace. Dans la favela de la région de Rio où elle habite, jusqu’à l’hôpital dans lequel elle travaille.
Une ardeur et une gouaille quasi vitales, cherchant à prendre le dessus sur les difficultés du quotidien : le manque d’argent, qui l’oblige à faire des heures supplémentaires auprès d’une vieille dame atteinte d’Alzheimer, comme l’immobilisme de son compagnon Aluisio, rivé devant le poste de télévision – grand enfant qui, heureusement, lui donne moins de fil à retordre que sa fille Jaqueline.
Cette dernière a en effet tout d’une peste : frivole et grande gueule, elle fréquente les membres d’un gang local, associés aux flics corrompus. À force de n’écouter personne, elle se retrouve au centre d’une affaire criminelle qui la dépasse. Et qui va faire de sacrés remous…
Sans misérabilisme ni moralisme
Marcello Quintanilha, 50 ans, discrètement révélé en France avec Tungstène (2015) – grâce aux éditions Çà et Là qui le traduisent depuis son premier recueil, Mes chers samedis, sur les classes populaires –, est pourtant un auteur brésilien de grand talent qui, album après album, tend un miroir à son pays et sa population. Pour ce faire, il emprunte les codes du polar, fait dans l’adaptation de classiques littéraires (L’Athénée) ou entraîne le lecteur au cœur de troublants récits sociaux (Lumières de Niterói) ou psychologiques (Talc de verre).
Dedans, il brosse, sans misérabilisme ni moralisme, une situation économique et politique peu reluisante, sur fond de corruption, d’inégalités, de violence, de pauvreté. Et comme si la multiplicité des thématiques manquait, il expérimente à chaque livre différentes techniques graphiques et narratives, donnant de la puissance et une certaine singularité à ses fictions.
Écoute, jolie Márcia en est une nouvelle illustration, avec ses couleurs saturées, carnavalesques, faites de mauve, de vert pâle et de jaune. Une manière d’égayer l’histoire, comme le fait son personnage principal, bien décidé à rester debout malgré les obstacles.
Ça hurle, ça cogne, ça se déchire…
Légère comme grave à l’instar de cet air d’opéra qui revient comme une ritournelle dans l’album (et lui donne même son titre), Márcia reste admirable, honnête. C’est d’ailleurs toute la force de Marcello Quintanilha : celle de raconter des destins ordinaires pris dans des situations qui ne le sont pas. Dans son sillage, on plonge au cœur de la classe populaire du Brésil, ses bidonvilles et ses trafics, ses milices armées et la brutalité quotidienne. Mais aussi son pendant positif : l’entraide, l’amour familial et la nécessité de rester digne dans ce paysage de douleurs.
L’auteur, comme dans ses précédents livres, joue avec les sentiments et les humeurs. Avec lui, on avance sur le fil, entre légèreté et gravité, entre comédie et tragédie. En compagnie de Márcia et des siens, ça hurle, ça cogne, ça se déchire, ça rit aussi, dans de grosses lettrines orangées.
Amour, larmes et rédemption, voilà le triptyque résolument humain que propose Marcello Quintanilha. Car au bout, c’est toujours la vie qui triomphe. À l’image de son héroïne, au cœur gros comme ça!
Grégory Cimatti
Écoute, jolie Márcia, de Marcello Quintanilha.
Éditions Çà et Là.
L’histoire
Márcia, infirmière respectée et aguerrie d’un hôpital de la région de Rio, vit dans une favela avec son compagnon Aluisio et sa fille Jaqueline, qu’elle a eue très jeune avec un autre homme. Jaqueline est frivole, grande gueule et mène la vie dure à sa mère. Au grand désarroi de Márcia, sa fille fréquente les membres d’un gang du quartier, et les relations deviennent très tendues entre les deux femmes. Márcia demande alors à Aluisio de surveiller Jaqueline, mais celui-ci risque gros…