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[Bande dessinée] Lili Sohn trace sa route


«Partir» s’impose alors comme un journal de bord qui s’attarde sur les détails et décrit le périple dans de multiples formes. (photo Casterman)

Décidée à sortir «de la banalité» du quotidien et à se désintoxiquer du numérique, l’auteure part sur les chemins de Compostelle. Une aventure humaine et introspective de deux mois et plus de 1 000 kilomètres, racontée pas à pas.

Partir, s’évader, se reconnecter à soi-même, aux autres, à la nature… Ces derniers temps, la marche a le vent en poupe. Elle permet en effet de s’offrir un souffle bienvenu, une pause bénéfique dans un monde qui en manque cruellement. Elle pourrait se définir de la sorte : prendre des chemins de traverse pour mieux retrouver le sien. Déjà en fin d’année dernière, un auteur s’est frotté à l’exercice, avec sac à dos et grosses chaussures : sur 800 kilomètres, jusqu’à Bure (lieu du projet d’enfouissement des déchets radioactifs), Étienne Davodeau a questionné les notions d’héritage et de transmission dans une balade libre et instructive (Le Droit du sol).

Aujourd’hui, c’est au tour de Lili Sohn de sortir les cartes IGN et le carnet de notes pour un voyage moins militant, mais tout aussi intériorisé. Et les quêtes introspectives, ça la connaît ! C’est le cœur même de son travail d’auteure. On l’a ainsi découverte avec son blog et une trilogie (La Guerre des tétons) qui parle avec force et humour de son cancer du sein diagnostiqué en 2014. Suivront deux autres ouvrages, colorés et autobiographiques, sur l’anatomie féminine (Vagin Tonic) et les «joies» de la maternité (Mamas).

Illustratrice, maman et militante, Lili Sohn, 36 ans, mène une vie sans pause, «toujours en mouvement», «hyperactive» et «ultra-connectée» qu’elle est. Jusqu’au jour où elle décide de faire un break (idée soufflée par son éditeur et son agent). De changer. De marcher, penser et se perdre sur les chemins de Compostelle. Seule et sans la quête du divin. Juste avec des crayons pour dessiner. Et ses yeux pour observer.

Pour le coup, Partir s’impose alors comme un journal de bord qui s’attarde sur les détails et décrit le périple dans de multiples formes : collages, selfies, photos de famille, crayonnages colorés, dessins… Chaque chapitre s’ouvre même comme un vrai guide de randonnée, avec l’étape du jour et le type de paysage (il est vrai agrémenté d’une thématique plus générale). «Encrer et m’ancrer dans le chemin», synthétise-t-elle dans une formule appropriée, à travers une expédition longue de 45 jours et plus de 1 000 kilomètres, étalée entre septembre et octobre 2020, partagée entre la France et l’Espagne. De quoi se réapproprier l’espace, le temps et le sens du mouvement entre deux confinements. De questionner aussi son rapport au corps, aux autres et à la nature.

Éloge de la lenteur, du vide, de la solitude

Des préparatifs à l’arrivée en terre promise, Lili Sohn raconte ses deux mois d’effort, de réflexion et d’initiation – un documentaire de France Télévisions, Digitale Détox, suit également ses pas. Déjà habituée aux balades familiales étant jeune, elle ne cache pas pour autant ce mélange de «trac et d’ivresse» qui ne la lâche pas avant le départ, et ce malgré l’aide bienveillante de ses parents, rompus à la pratique – ils gèrent même un gîte pour marcheurs dans le Lot. Avant les premières foulées, on la voit ainsi se mettre en condition, physiquement comme mentalement. Sans oublier de prendre dans son sac le fameux «crédential», soit le passeport du pèlerin (à remplir à chaque étape pour le diplôme final).

Sur de petits sentiers et de grandes routes bitumées, avec, pour seul contact avec le monde, un vieux téléphone portable, Lili Sohn dépeint son odyssée, ses beautés comme ses galères. Il y a les rencontres éphémères, ces amitiés «d’urgence» plus ou moins heureuses; l’ambiance des gîtes (gare aux ronflements !); les doutes qui reviennent durant les «journées de merde», souvent pluvieuses et glaciales; les voix intérieures qui «comblent le silence» et, face au dénuement, le charme de chaque détail, aussi insignifiant soit-il.

Parfois pédagogique (notamment quand elle livre ses conseils pour un pèlerinage réussi ou quand elle refait l’histoire de Saint-Jacques-de-Compostelle), tantôt féministe (avec, entre autres, cet épisode du randonneur-tripoteur), Lili Sohn célèbre surtout la farouche liberté du promeneur, dont le rythme redéfinit les priorités : finis la fureur, le bruit et la vitesse des sociétés modernes, place à la lenteur, au vide, à la solitude et au lâcher-prise. Un apaisement, une «rédemption» même, dont on sort généralement changé et marqué. Au point, comme l’auteure, de vouloir remettre ça au plus vite.

Partir, de Lili Sohn. 
Casterman.

L’histoire

Deux mois pour rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle depuis Cajarc et le Mas de Jantille. Deux mois et plus de 1 000 kilomètres, seule et le strict nécessaire dans un sac à dos. Deux mois pour se réapproprier l’espace et le mouvement entre deux confinements. Deux mois de marche, de réflexion et d’initiation. Deux mois pour questionner son rapport au corps, aux autres, à la nature…