On le connaissait auteur facétieux, et voilà qu’il se met à la science-fiction : Philippe Valette part aux confins de l’espace et offre une épopée humaine comme métaphysique qui questionne les limites de la civilisation.
Comme le dit son héros, «tout n’est qu’une question de temps». Pour le coup, le timing est quasi parfait : à l’heure où ressort sur les écrans Interstellar de Christopher Nolan, dix ans après avoir mis Matthew McConaughey en orbite pour sauver la Terre, voilà que Philippe Valette imagine à son tour le plus long voyage interstellaire de l’histoire de l’humanité. Plus que l’idée, toujours objet de fantasmes multiples, ce qui est surprenant, c’est de retrouver cet auteur à la tête d’un récit de science-fiction, lui qui a habitué jusque-là ses familiers à des aventures drôles et absurdes. D’abord avec une sorte d’Iron Man trash qui emprunte le nom à un acteur qui vend des machines à café (la série George Clooney). Ensuite avec un bureaucrate à moustache et cravate rose qui mène l’enquête comme s’il était dans un film d’entreprise des années 1980 (Jean Doux et le mystère de la disquette molle).
Je m’interroge beaucoup sur l’avenir du monde
«Je m’interroge beaucoup sur l’avenir du monde. Ce projet résulte d’une nécessité de coucher sur papier ces réflexions, de manière allégorique», se justifie-t-il sur le dossier de presse. Sa vision sera donc «minimaliste» et d’«anticipation». Ainsi, en se gardant d’en mettre plein les yeux et de faire dans le grandiloquent, Philippe Valette reste quand même fidèle à certains principes narratifs propres au genre : dans L’Héritage fossile, la Terre telle qu’on la connaît touche à sa fin. Il devient alors urgent de faire ses valises et d’imaginer s’installer ailleurs. Très loin, à l’autre bout de la galaxie (surtout après l’échec de la colonisation de Mars). L’objectif : partir pour Geminae, «sœur jumelle» de la planète bleue. Durée du voyage : 20 000 ans. Ils sont quatre astronautes-scientifiques à prendre part à l’épopée, comme le montre une coupure de journal en quatrième de couverture : Onye, Ryoko, Chana et Reiz.
On se dit vite que les choses ne se sont passées comme prévu quand on découvre ce dernier, âgé et rapiécé, errant depuis douze ans sur une terre poussiéreuse balayée par les vents. Un désert inhospitalier qu’il partage avec sa fille, Nova, qui profite de cette longue pérégrination survivaliste en famille pour consigner les mémoires du père, pour elle et, qui sait, les générations à venir (s’il y en a). L’occasion, grâce à des flash-back, de repartir en 2087 à bord de l’Heritage One pour une histoire à double entrée. D’un côté, donc, un rescapé, fatigué et malade, qui cherche son vaisseau et ne tient que grâce à de mystérieuses pilules. De l’autre, un équipage qui, conscient que le destin de toute l’humanité repose sur ses épaules, part dans un interminable périple, accompagné de milliers d’embryons gardés au frais et soutenu par une technologie (la biostase) qui lui permet de faire de longues siestes de 25 ans, sans prendre une ride.
Bien qu’il connaisse la dangerosité de la mission («on savait qu’il allait falloir faire des sacrifices»), le quatuor ne s’attendait pas à cumuler les problèmes : une navette qui se désagrège, plus aucun contact avec la Terre et, surtout, les uns après les autres semblent être atteints d’une étrange maladie qui les conduit petit à petit à se fossiliser. Face à la menace de finir en «statue de pierre», l’ambiance, entre fatalisme et tension, se détériore peu à peu. Seul Reiz, à l’origine du projet, ne peut se résoudre à abandonner. Obstiné à l’idée d’offrir un second foyer à l’Homme, il va être le symbole de ce qui se passe quand on place «l’ambition» devant la «raison». Et dans l’espace, personne ne les entendra crier…
Rythmé par un compteur digital d’un vert tape-à-l’œil qui égraine les années (selon le calcul du «temps de voyage écoulé», du «temps de voyage restant» et de la «distance parcourue»), L’Héritage fossile se présente à la croisée du huis clos et du road trip, pour finir dans une inquiétante dystopie. Entre les deux, l’auteur en profite pour glisser des thèmes qui lui sont chers : les limites de la civilisation, de la science et celles, morales, en matière de survie de l’espèce, mais aussi la mémoire, la transmission… À cette efficace épopée philosophique s’ajoute une autre, visuelle, grâce à une technique innovante de superposition de décors modélisés en 3D et de dessins faits à la main (expliquée en fin d’ouvrage). Pour tout ça, Philippe Valette, inspiré selon ses dires par les astrophysiciens Carl Sagan, Neil deGrasse Tyson et Aurélien Barrau, change de dimension. On ne rira plus aussi bêtement avec lui, mais on continuera à passer d’excellents moments.
L’Héritage fossile, de Philippe Valette Delcourt.
L’histoire
Nova et son père, Reiz Iger, un vieil astronaute, cheminent à la surface d’une planète désertique à la recherche des vestiges de son vaisseau. La jeune fille profite du périple pour rédiger les mémoires de son père : 20 000 ans plus tôt, son équipage a quitté la Terre pour tenter d’établir la toute première colonie humaine sur une exoplanète propice à la vie. Mais au fil des siècles, l’expédition a pris une tournure inattendue…