Dans un superbe travail de vulgarisation, Christophe Blain suit à la trace Jean-Marc Jancovici, spécialiste des questions énergétiques. Au bout, le meilleur livre scientifique de l’année et une somme de réflexions qu’il serait bon d’appliquer pour les prochaines années. Vite, tant qu’à faire…
Chaque année, la planète se fane toujours un peu plus et manifeste sa colère avec fracas. Pluie diluvienne, ouragan incontrôlable ou canicule sévère en sont la régulière expression. Oui, comme l’affirme Christophe Blain dans les premières pages du livre, le réchauffement climatique, «ça devient réel!». Auteur de BD qui «flippe» et transpire à grosses gouttes, il ne se cache pas pour autant derrière l’ignorance ou le déni. Pour éveiller sa conscience (et celle des autres), il a pris l’habitude, pour ses ouvrages, de faire appel à des spécialistes. On l’a ainsi vu en cuisine pour un «trip» gastronomique avec le chef trois étoiles Alain Passard, ou, de manière plus imaginative, fouiner au cœur du ministre des Affaires étrangères en France, en compagnie du diplomate masqué Antonin Baudry (Quai d’Orsay).
Pour Le Monde sans fin, une fois encore, il n’a pas fait dans la demi-mesure, s’offrant les services, pour deux années de collaboration, de Jean-Marc Jancovici, polytechnicien star de YouTube, aux conférences inspirantes sur l’urgence climatique. Avec ses PowerPoint de deux heures bourrés de graphiques sur les énergies fossiles, l’homme privilégie l’approche rationnelle au glamour, car on ne rigole par avec les questions énergétiques, sa spécialité. Rappelons que l’ingénieur, outre d’être le fondateur du groupe de réflexion The Shift Project, est l’inventeur du bilan carbone, aujourd’hui utilisé dans le monde entier.
Une approche chiffrée sans être austère
Aujourd’hui dans la peau du vulgarisateur, et après Le Changement climatique expliqué à ma fille (Seuil, 2009), il s’attaque à la BD pour témoigner de sujets qui nous concernent tous. Aussi brûlants et complexes soient-ils. Car l’ouvrage, fort de ses 196 pages, ne cherche jamais la facilité. Comme l’illustre symboliquement la couverture, avec les deux hommes face à un enchevêtrement d’immeubles et d’autoroutes, les thèmes abordés ici se mélangent et se répondent au cœur d’une machinerie complexe, expliquée à l’aide de nombreux tableaux, schémas, infographies et analyses. L’expert tient le crachoir et déballe son savoir. Christophe Blain, dans le rôle du candide – il se dit souvent «perdu» –, retranscrit cette masse d’informations dans un dessin intelligent et tout en humour, afin d’alléger l’approche, chiffrée sans être austère.
Dans de récurrents allers-retours entre le présent et le passé (rarement au-delà de la moitié du XIXe siècle), Jean-Marc Jancovici, suivi de près par son «élève», explique principalement deux choses : d’abord que l’évolution de l’humanité, et par ruissellement, celui du monde moderne, repose sur l’énergie. Ensuite que la géologie et le climat, de plus en plus en souffrance face à ce développement exponentiel, obligent à inventer un nouvel avenir. Entre les deux constats, une tonne d’histoires, d’examens et d’anecdotes qui évoquent aussi bien des enjeux économiques qu’écologiques et sociétaux. Le tout, sans pessimisme, ni moralisme s’il vous plaît!
Ainsi, la moitié de l’ouvrage est consacrée à l’énergie, dont «on ne comprend pas ce qu’elle est vraiment, ni à quoi elle sert», précise le spécialiste. Il est justement là pour ça! Avec ses étonnantes analyses mettant face à face les machines et leurs équivalents «esclaves», il traverse plus d’un siècle et demi de progrès, justifié par l’exploitation tous azimuts des énergies fossiles. Mais ces ressources n’étant pas infinies, et leurs transformations n’étant pas sans conséquence pour la Terre, on se retrouve aujourd’hui dans l’impasse, ou du moins, devant une nécessité de voir les choses autrement (c’est ce qu’on appelle la transition énergétique).
Aucune solution facile, immédiate et «propre»
Détaillant d’étranges notions, comme le flux physique, la loi de conservation et le stratium, le tandem, qui se met en scène, passe de la campagne à la ville, roule sur un bidon de pétrole ou saute dans un avion, croisant sur leur périple Clint Eastwood, Maître Yoda, Jimini Cricket, un parachutiste qui tricote en mangeant du chocolat, sans oublier Iron Man… À travers une riche conversation, on apprend pourquoi le monde est fait comme ça, comment on mange, on se déplace, on habite, on part en vacances… Et également pourquoi la course à la croissance est un leurre qui nous rend «myope et sourd».
Plus loin, dans un chapitre dédié au climat et un autre aux énergies non carbonées, on se rend compte qu’il n’y a pas de solutions faciles, immédiates et «propres». Et que tout choix à des avantages et des inconvénients. En outre, certaines thématiques ne laisseront pas le lecteur de marbre, comme celle du nucléaire (Jean-Marc Jancovici en est un défenseur «pragmatique»), probablement la partie la plus déconcertante. Pour soulager les esprits, qui n’en sortiront pas indemnes, il ouvre quelques pistes de réflexion sur les choix à faire. Mais en disparaissant, à la fin de l’ouvrage, dans l’imposante chevelure de Mère Nature, Jean-Marc Jancovici et son disciple disent, en creux, que le destin de l’Homme et de sa planète sont étroitement liés. Agissons alors, car la fin du monde du monde n’est pas «pour toute de suite». Enfin, «idéalement».
Grégory Cimatti
Le Monde sans fin,
de Jean-Marc Jancovici
et Christophe Blain.
Dargaud.