Pour son premier roman graphique, Valentine Cuny-Le Callet mêle ses dessins à ceux de Renaldo McGirth, plus jeune condamné à mort aux États-Unis, avec lequel elle a entretenu une correspondance. Un ouvrage poignant, sur le fond comme sur la forme.
Valentine Cuny-Le Callet en est convaincue : «La peine de mort ne devrait exister sous aucun prétexte», explique-t-elle sur le site de Delcourt. Une certitude qui, chez elle, s’est construite au fil des années : jeune, elle est d’abord tombée sur la une du Daily News, avec cette photo, glaçante, d’un condamné à la chaise électrique. Puis il y a eu le livre La Ligne verte et le film La Dernière Marche, avant que la question ne revienne dans le débat public en France, après les attentats de 2015.
L’année suivante, l’étudiante en arts plastiques, âgée de 19 ans, décide de s’engager à l’ACAT, association de lutte contre la torture. Son objectif? Entamer une correspondance avec un prisonnier qui végète dans le couloir de la mort, n’ayant pour seul horizon que son exécution. Ce sera Renaldo McGirth, 28 ans, numéro d’écrou #U33164, incarcéré depuis près de dix ans à l’Union Correctional Institution, en Floride. Elle ne connaît ni son crime ni ce qui adviendra de ce premier contact. C’est sur cette base, fragile, que va naître une profonde amitié, propre à casser les murs.
Pendant des mois, suivant les arbitraires de la poste américaine et des services carcéraux, elle échange des lettres manuscrites avec le détenu. Reconnu coupable du meurtre d’une retraitée à la suite d’un braquage ayant mal tourné, ce dernier clame son innocence, et depuis sa cellule, se bat pour la révision de sa sentence. Aux yeux de sa correspondante, toutefois, il n’est ni un assassin ni une victime. Il est avant tout un être humain. Elle refuse, dès le départ, de juger, mais prend parallèlement conscience de la violence du système judiciaire américain. Et c’est en cela que son travail, nourri de nombreux échanges, fait sens.
Après quatre années d’une relation épistolaire avec celui qu’elle finira tout de même par rencontrer dans le quartier des condamnés à mort, Valentine Cuny-Le Callet sortira un essai (Le Monde dans cinq mètres carrés, Stock, 2020). La Perpendiculaire au soleil est l’adaptation graphique de ce premier livre. Une actualisation qui s’imposait, car Renaldo McGirth a en effet une pratique assidue du dessin et de l’écriture, qu’il s’efforce d’enrichir en dépit des contraintes (parfois ubuesques) imposées par son enfermement. En résulte ainsi un ouvrage réalisé à quatre mains, à l’aide de gouache, de stylo-bille, de gravure sur bois et d’autres techniques, pour un récit aux multiples allers-retours.
Lui raconte son monde de béton au cœur d’une cage minuscule sans fenêtre. «Ici, il y a peu de choses qui je puisse voir ou faire», écrit-il. Parfois optimiste, parfois sombre, il évoque ses conditions de détention, le racisme institutionnalisé, ses tentatives d’obtenir la révision de son procès, mais aussi l’amour, la solitude, la mort, la famille… Sans oublier, en creux, la ténacité avec laquelle les condamnés reconstruisent leur vie. «Je suis en guerre civile contre moi-même», dit-il. Elle, avec subtilité, questionne la brutalité d’un système carcéral et de la peine de mort, non sans donner quelques exemples en fin d’ouvrage qui font froid dans le dos.
Perpendiculaire au soleil sera sûrement l’un des livres de 2022 : c’est une expérience qui captive par son humanité, sa franchise et sa maturité – même si parfois, les propos sont décousus (mettons ça sur le compte de l’émotion). Si ce gros volume de plus de 400 pages couvertes d’illustrations d’un noir profond (seules deux planches sont colorées) «donne à voir l’invisible», à travers cet univers carcéral «qui cherche à tout prix à dissimuler ce qui se passe derrière les murs», il transcende, par l’image, ces conditions de vie extrême. Amener de la beauté dans un monde qui est en dépourvu, voilà un geste vertueux. D’autant plus qu’aujourd’hui, 2 504 attendent toujours leur exécution aux États-Unis.
Perpendiculaire au soleil,
de Valentine Cuny-Le Callet.
Delcourt.
À ses yeux, il n’est ni un assassin ni une victime, mais un être humain
L’histoire
En 2016, Valentine Cuny-Le Callet, 19 ans, entame une correspondance avec Renaldo McGirth, condamné à mort, incarcéré depuis plus de dix ans en Floride. Au fil de leurs lettres, des images qu’ils s’échangent, des rares visites, naît le récit graphique de leurs vies parallèles…