Olivier Bocquet et Anlor déconstruisent le mythe masculin du Far West avec l’histoire de cinq femmes qui cherchent à s’affranchir de leur condition et à tracer leur propre route. Quitte à faire parler la poudre, comme les hommes !
Le western, genre ultracodifié et aux stéréotypes vieillissants, subit ces derniers temps un lifting bienvenu. Le geste n’est certes pas nouveau – rappelons le classique franco-belge datant de 1969 de Greg et Hermann, avec son héroïne au caractère bien trempé (Comanche) – mais il a tendance à s’accélérer. On en veut pour preuve quelques titres et séries, plutôt récents, qui mettent à l’honneur des femmes tirant plus vite que leur ombre : La Venin (Rue de Sèvres), Hippolyte (Vent d’Ouest) ou encore le très décalé Mondo Reverso (Fluide Glacial).
D’ailleurs, même le plus iconique des cowboys, Lucky Luke, n’est pas à l’abri des changements, comme le démontre la dernière interprétation de Matthieu Bonhomme (Wanted, Lucky Luke !) ou celle de Ralf König, à la patte gay affirmée (Choco-Boys). Aujourd’hui, c’est au tour du scénariste Olivier Bocquet (dont il faut lire la trilogie La Colère de Fantômas) et la dessinatrice Anlor (À coucher dehors) de tirer sur le mythe et de replacer les femmes au centre de l’histoire, dont le western fait généralement peu de cas (en dehors de l’iconique Calamity Jane), tout comme l’imaginaire collectif, aux trous de mémoire redondants.
Œil pour œil, dent pour dent !
Avec ces deux auteurs et une nouvelle aventure prévue pour l’instant sur un cycle de trois tomes, elles font une entrée fracassante, pétaradante même ! Ladies with Guns, avec son titre fleurant la poudre à canon et sa couverture maculée de sang, va droit au but : il est question de femmes cherchant à s’affranchir de leur condition (il est vrai peu enviable) et à gagner leur indépendance pour dépasser leur statut de victime, quitte à user des mêmes arguments, violents, que l’univers masculin et dangereux qui les entoure. Œil pour œil, dent pour dent, comme on dit !
Pourtant, à la base, ces cinq-là n’avaient a priori aucune raison de se croiser. Kathleen est une veuve originaire de la bonne société européenne, qui se retrouve confrontée à la dureté des mœurs du Nouveau Monde. Chumani, elle, est une Indienne dont la tribu s’est fait massacrer par les Blancs. De son côté, Abigail est une esclave en fuite, qui n’a pas froid aux yeux malgré ses 14 ans. Enfin, Daisy est une institutrice à la retraite pétrie d’humanité. Quant à Cassie, elle se présente comme une «pourvoyeuse de plaisirs», soit, plus communément, une prostituée.
Une vengeance jouissive
C’est un concours de circonstances – lorsque Kathleen découvre Abigail prisonnière d’une cage de métal – qui va mener ce quintette hétéroclite à faire front. Et rien de mieux, en effet, que l’union pour affronter la dure société de l’Ouest américain, dominé par le fracas des armes à feu… Au gré des flash-back, on en apprend un peu plus sur le passé de ces femmes, unies malgré leurs différences : malmenées, brutalisées, déconsidérées, on comprend facilement leur désir d’émancipation. D’autant plus qu’ici, les hommes sont cupides, stupides et alcooliques, toujours certains de leur bon droit à la domination.
Une mise au point s’imposait donc, et elle ne fait clairement pas dans la finesse ! C’est en effet à une épopée pleine de bruit et de fureur que convie Olivier Bocquet, dépoussiérant là les codes traditionnels du western pour le faire entrer dans le XXIe siècle. Un peu d’humour ainsi qu’une bonne dose de solidarité et d’ouverture d’esprit, voilà la recette d’un ouvrage qui, au gré des pages, laisse éclater une vengeance (jouissive) à la Quentin Tarantino. Le dessin classique d’Anlor et la belle mise en couleurs «pop» d’Elvire De Cock épousent cette narration nerveuse, jusqu’à une explosive séquence finale. Les desperados et autres «gringos» édentés sont prévenus : dans l’Ouest, ils ne sont désormais plus en sécurité.
Ladies with Guns (t. 1), d’Olivier Bocquet et Anlor. Dargaud.
L’histoire
Une esclave en fuite, une Indienne isolée de sa tribu massacrée, une veuve bourgeoise, une fille de joie et une Irlandaise d’une soixantaine d’années sont réunies par la force des choses. Et l’Ouest sauvage n’est pas tendre avec les femmes… Mais face à des hommes qui veulent les maintenir en cage, elles décident d’en découdre, et ça va faire mal…