Pour les 80 ans de sa naissance, Jean-Michel Dupont et Mezzo ressuscitent le mythe du guitariste Jimi Hendrix. Une biographie d’un noir profond, aussi électrique qu’un rock et douloureuse qu’un blues.
Carrée comme une pochette, noire comme un vinyle. L’œuvre ne trompe pas sur ses intentions, autant que les auteurs qui y sont associés : Jean-Michel Dupont et Mezzo, déjà remarqués pour leur jeu de guitare avec Love in Vain, l’une des réussites de 2014. Un ouvrage sur la vie de Robert Johnson (1911-38), figure légendaire du blues morte à 27 ans, connue à travers une anecdote : il aurait hérité de ses dons en vendant son âme au diable… En tout cas, la ressemblance avec Jimi Hendrix est troublante : lui aussi est parti au même âge, lui aussi a connu la ségrégation, et lui aussi tenait du Malin. Gaucher, son père le reprenait souvent : «Pas cette main, c’est celle du diable !».
C’est l’une des nombreuses anecdotes du superbe Kiss the Sky, premier volet d’une biographie archidétaillée d’un des plus grands guitaristes de tous les temps (le plus célèbre du moins). Car cette année, Jimi Hendrix aurait eu 80 ans, ce qui donne lieu à des hommages dont celui-ci, aussi inspiré qu’un solo qui défrise. Histoire d’assurer le coup, il s’appuie en plus sur deux soutiens qui s’y connaissent en musique : d’abord FIP, radio hautement addictive. Ensuite Nick Kent, figure majeure de la presse rock qui signe ici une préface élogieuse, du genre «s’il était encore en vie, il serait enchanté» par ce livre. Car Jimi Hendrix était fan de comics. Comme Elvis Presley.
Une galerie de célébrités
Sur une bande-son remuante détaillée en fin d’ouvrage, l’histoire repart à la source, en 1942, année de sa naissance, et s’arrête à son arrivée à Londres. Une longue odyssée de 24 ans avant qu’il ne devienne le virtuose que l’on connaît, sorte d’Icare du XXe siècle qui s’est rapidement brûlé les ailes. Avant de tutoyer les cieux, Kiss the Sky ramène au sol et prouve une chose : c’est dans la douleur que s’est construit le génie du guitariste qui, durant toute sa vie, a lutté pour ne pas être un «loser». Car il faut en trouver de la force et du cran quand on vient d’une famille au comble de la misère, avec une mère volage et un père bon à rien, le tout sur fond d’alcoolisme et de violence. Lui tiendrait plutôt de sa grand-mère «cherokee», avec ses solos cosmiques et son côté rêveur.
De son enfance à Seattle jusqu’à la musique et la guitare, son «premier amour», ce premier tome raconte son long apprentissage, fait de moqueries et de malchance. À l’armée, il rêve de reproduire le bruit d’un avion sur sa six-cordes, d’où sa propension, comme le dit le livre, à jouer toujours trop fort, ce qui a le mérite d’agacer les nombreux groupes dans lesquels il se fait la main (The Velvetones, The King Kasuals…). Des oreilles qui n’étaient pas prêtes pour le prodige à venir, celui pour qui tout «le secret tient au son». Dans son sillage, parfois au cœur d’improbables lieux perdus, il y a les femmes d’une nuit, le poids du racisme, des instruments volés, la drogue facile, des arnaques et toute une galerie de célébrités de la scène d’alors, de Little Richard à B.B. King jusqu’à Aretha Franklin ou Sam Cook.
D’autres défilent encore, ceux qui réussissent (The Beatles, Bob Dylan, Éric Clapton, The Rolling Stones), sous les yeux d’un Jimi Hendrix qui cherche toujours la gloire. Mais avant son éclosion soudaine dans le Swinging London en 1966, il doit se contenter de la galère et de l’ombre, d’un noir d’encre aussi profond qu’est le dessin de Mezzo (Le Roi des mouches), au style proche de celui de Charles Burns. Un découpage inspiré, un récit qui prend son temps pour parler des détails et des séquences psychédéliques font le reste. Chaque case suinte le blues et le rock, ramenant à la folie d’une époque où tout semblait possible. Dans cette agitation, un garçon s’accroche comme il peut à son étoile. La lumière et la reconnaissance vont vite arriver. Trop vite peut-être.
Kiss the Sky (t.1), de Mezzo et J.M. Dupont. Glénat.
L’histoire
Avant de devenir le plus célèbre guitariste de tous les temps, Jimi Hendrix fut un gamin laminé par une enfance à la Dickens, puis un obscur musicien au parcours semé de galères et d’humiliations. C’est cette part sombre de sa vie et sa soif désespérée de reconnaissance que raconte cette première partie du portrait intime que lui consacrent Mezzo et Jean-Michel Dupont.