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[Bande dessinée] Hors scène : dans les coulisses de l’adolescence


Avec son style si particulier, mêlant vignettes détaillées et récit intimiste, le Britannique Jon McNaught suit les tourments d’un garçon coincé entre deux âges. Un nouveau tour de force.

Depuis maintenant plus de dix ans, Jon McNaught s’est fait un nom et une réputation qui dépassent le cadre restreint de son Angleterre natale et son éditeur Nobrow. Il est en effet défendu par Dargaud, tombé sous le charme en 2013 à Angoulême d’un petit livre qui, comme son auteur, se voulait sans prétention. Automne repartira malgré tout du festival avec le prix révélation, point de départ de plusieurs sorties en français (Dimanche, Histoires de Pebble Island, L’Été à Kingdom Fields). Une «french connection» qui semble bien fonctionner, au point que sa cinquième et dernière œuvre n’a pas d’équivalence anglo-saxonne. Hors scène n’a pourtant rien d’une révolution, juste la preuve que l’illustrateur vieillit bien.

C’est d’ailleurs la trame de sa nouvelle histoire, à travers le questionnement qui agite intérieurement son personnage, David. Jeune garçon de cinquième, il est accaparé par les répétitions de Narnia, pièce tirée de la saga littéraire de C. S. Lewis. Au milieu de ses camarades de classe, il y incarne Aslan, un «lion majestueux». Il aimerait avoir la puissance et le charisme de la bête, mais quand on est adolescent, les certitudes disparaissent et les nerfs sont souvent à vif. Bien sûr, il aime toujours la compagnie de Josh, son copain avec qui il fait le guignol le long de la voie ferrée et joue au football. Mais parfois, le cœur n’y est plus. Faire des maquettes est-il encore un jeu de son âge? S’amuser avec sa petite sœur, est-ce bien raisonnable? Autant d’interrogations qui le bousculent.

Un récit tout en intériorité, d’une délicate poésie

Il faut dire que les filles l’attirent de plus en plus, pas seulement celles qu’il a vues en cachette sur des sites classés X. Et puis, il a les «grands» de troisième auxquels il veut ressembler, malgré cette voix qui tremble et ce corps qui change trop vite. Avec eux, à condition de falsifier son identité, on peut aller acheter des bières ou de la vodka, que l’on boira au parc, sur le même toboggan où il usait ses pantalons quelques années auparavant. Oui, il a envie de grandir, d’écouter de la musique à fond, de mettre du tabasco dans tous ses plats, d’exploser des zombies ou de piloter des bolides sur sa console. Surtout que le terme «gamin» est depuis peu devenu une insulte. Mais si l’horizon qui s’offre à lui semble sans limites, l’enfance a toujours quelque chose de rassurant. L’enterrer n’a jamais rien d’une évidence…

Avec Jon McNaught, il ne faut clairement pas s’attendre à des récits alambiqués et haut perchés. Au contraire, son inspiration vient du terreau du quotidien, de sa banalité et de ses petits riens, qu’il magnifie comme personne d’autre, ou si peu. S’il fallait en effet lui trouver des références, elles se situeraient de l’autre côté de l’Atlantique avec, d’un côté, Richard McGuire (Here), pour son soin apporté aux détails et ses détours spatio-temporels. De l’autre, Chris Ware (Jimmy Corrigan), à l’identique découpage au cordeau et tout aussi sensible à un certain esthétisme pour la contemplation. Comment cela se matérialise-t-il? D’abord par de petites vignettes (parfois vingt sur une seule page) qui captent des instants suspendus ou s’arrêtent sur d’infimes morceaux de vie, le tout dans un même style et sans abuser de la couleur (ici une trichromie bleu-orange-rose).

Ensuite, en maîtrisant le rythme de l’histoire, qui s’apparente alors à une grande promenade en apesanteur. Hors scène n’a d’ailleurs aucune numérotation, franche invitation à perdre ses repères pour mieux plonger dans le spleen de David, ses sensations et ses souvenirs, ses humeurs, ses sentiments et ses obsessions, comme cette usine à l’étrange tête de robot qui, dominant la ville, semble surveiller ses activités et surtout, son évolution. Un récit tout en intériorité, d’une délicate poésie malgré ses airs plus bavards qu’à l’accoutumée, dans lequel le lecteur pourra retrouver cette part d’enfant cachée tout au fond de lui. D’où la nécessité de ce vagabondage sensible. Car s’il est difficile d’expliquer ce qui fait concrètement le charme de Jon McNaught, l’idéal, c’est encore de le lire. Mieux, de le vivre!

Hors scène,
de Jon McNaught.
Dargaud.

L’histoire

David est encore un enfant, mais déjà aussi un adulte en devenir. Cette fin d’année de cinquième, rythmée par les répétitions du traditionnel spectacle où il incarnera sur scène Aslan, le sage et puissant lion créateur du monde de Narnia, est le moment d’un basculement subtil. Cet instant où les jeux de toujours perdent de leur intérêt, où le square est devenu trop petit, où l’on a pris des centimètres aussi. Ce moment des premiers troubles amoureux et des premières bières en cachette. Ce moment où l’on se prépare hors scène à ce rôle de «grand» qu’on interprétera bientôt…